Après La mélancolie du pot de yaourt (Premier Parallèle, 2020), La démence du percolateur. On va finir par croire que Philippe Garnier ne quitte pas sa cuisine. Il le confesse d'ailleurs dans ce nouvel essai à la fois cocasse et perspicace. « Je passe beaucoup de temps à contempler le fond de mon réfrigérateur. » Il aurait tort de se priver puisque cette pièce lui inspire des ouvrages malins qui puisent dans la philosophie et l'observation de nos pratiques quotidiennes. D'une certaine manière, cet écrivain éditeur vulgarise les travaux précurseurs de Gilbert Simondon sur l'existence des objets techniques dans les années 1960. « Plus la technologie prolifère, moins nous en ressentons l'étrangeté », constate Philippe Garnier. Nous sommes aujourd'hui entourés - pour ne pas dire étouffés - de machines, au risque de devenir nous-mêmes de plus en plus mécanisés et prévisibles. Le fameux percolateur dément décide désormais quel café nous convient le mieux puisqu'il a enregistré nos préférences. Nous n'avons plus à choisir, il le fait pour nous. De plus en plus, l'électroménager « intelligent » planifie nos vies. Le frigo nous indique ce que nous devons consommer, les machines à cuisiner font de nous des cordons-bleus même si nous ne faisons pas de différence entre une carotte et un panais. La voiture autonome commence aussi à prendre des initiatives. La conduite est prise en charge par l'ordinateur tout comme le GPS le fait pour nos itinéraires, la carte routière étant depuis belle lurette oubliée dans la boîte à gants. Philippe Garnier avoue d'ailleurs qu'il se géolocalise assez souvent. Cela le rassure de savoir où il est. Cet asservissement aux objets peut conduire jusqu'à la tragédie, un véhicule pouvant désormais tuer sans que ce soit imputable à une erreur du conducteur.
Les machines changent aussi nos comportements, elles encouragent notre passivité. « Les machines façonnent nos gestes et modifient notre vie corporelle », écrit Philippe Garnier. Son essai est riche car il est sobre. L'auteur dit les choses comme il les vit. Les petites intrusions chez Platon ou Simondon ne sont là que pour appuyer le propos par quelques réflexions savantes, mais l'essentiel demeure le vécu. « Nous émergeons de la morne hypnose qui nous fige devant nos robots mixeurs, nos lave-vaisselles et nos ordinateurs. » Nous prenons conscience que nous tenons autant à ces machines qu'elles nous tiennent. Mais cette brillante réflexion sur la « fatalité » du progrès que nous subissons avec plus ou moins de consentement laisse quelque espoir. « Peu à peu, j'ai cessé de chercher mon chemin. » Se perdre sans son téléphone est encore le meilleur moyen de résister. Ce qui n'empêche pas de demander à son percolateur un café...
La démence du percolateur
Premier Parallèle
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 17 € ; 160 p.
ISBN: 9782850611735