Sujet sensible. Sans afficher du tout la prétention d'être sociologue ou psychologue, Philippe Besson est un romancier de notre époque. Il en sent les mouvements, en vit les soubresauts, les drames. En imagine les protagonistes. En écrivain du réel, dans la lointaine lignée des naturalistes. Avec Vous parler de mon fils, il signe le plus sensible, le plus délicat, le plus intime peut-être de ses livres. Ici, un adolescent de 14 ans s'est ouvert les veines parce qu'il ne supportait plus d'être harcelé, agressé, violenté par deux salopards de sa classe de troisième. Ni ses camarades, ni les autorités scolaires n'ont tenté quoi que ce soit pour l'aider. Ses parents, dépassés, n'ont pas su comment réagir à temps. Cette mort, qui ouvre un gouffre béant au sein d'une famille, est un scandale, une honte, la preuve d'une faillite de notre système scolaire, et, partant, de la société tout entière.
Hugo vivait à Saint-Nazaire avec ses parents quadragénaires − Vincent, chaudronnier aux chantiers navals, Juliette, secrétaire dans la même entreprise − et son petit frère de 9 ans, Enzo. Une famille de la petite classe moyenne, tranquille, sans histoire, comme on dit. Scolarisé au collège André-Malraux, il était bon élève. Mais contrairement à ses condisciples, petits mâles en devenir, gonflés de testostérone et rouleurs de mécaniques, c'était un garçon maigre, timide, réservé, farouche, hypersensible, que deux brutes, Mathis et Rayan, ont tôt fait de prendre en grippe et de harceler de plus en plus violemment. Évidemment, ils le traitent de « fiotte » et sexualisent de plus en plus les injures et les actes de violence. Le calvaire du gamin va durer presque toute l'année scolaire, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.
Au début, il a pris sur lui, minimisé. À ses parents, à sa mère surtout, intuitive comme toutes les mères, qui sentait bien que quelque chose clochait, il a mis du temps à avouer la vérité. Vincent n'a pas su quoi faire. Juliette a pris le taureau par les cornes, causé du scandale, tenté de régler le problème elle-même face à la lâcheté criminelle du principal du collège. Tout cela en vain. Les satanés réseaux sociaux s'en mêlant, la vie était devenue un enfer pour l'adolescent.
Cette triste histoire, hélas banale de nos jours si l'on en croit les journaux, c'est Vincent qui nous la livre à la première personne, en courts flash-back, le jour même où est organisée dans les rues de Saint-Nazaire une marche blanche à la mémoire du jeune martyr. Plus d'un millier de personnes sont venues. Mais personne n'avait su éviter le drame. Le matin, Vincent a entrepris de tout vider dans la chambre d'Hugo, laissant un grand vide, métaphore de la famille dévastée. Il a même arraché la moquette, où demeurait une auréole de sang...
Tout cela est conté par Philippe Besson sans pathos, avec une infinie délicatesse, mais l'on sent une indignation et une rage contenues. Le seul rayon de soleil dans cette eau glaciale, c'est Enzo, qui pense déjà à la future maison où ils tenteront de continuer à vivre. Sans oublier jamais.
Vous parler de mon fils
Julliard
Tirage: 70 000 ex.
Prix: 20 € ; 208 p.
ISBN: 9782260056300