Dialogue avec les ancêtres. « À la différence de l'information, dit Walter Benjamin, le récit [...] incorpore [l'événement externe] dans la vie même de celui qui raconte, pour le communiquer, comme sa propre expérience, à celui qui écoute. Ainsi le narrateur y laisse sa trace, comme la main du potier sur le vase d'argile. » Ici, Peter Handke modèle son vase à deux mains - deux narrateurs impriment dans la glaise du texte leurs souvenirs sous la forme d'un récit dialogué. Mais, pour filer la métaphore benjaminienne, dans le nouvel ouvrage du Nobel de littérature, Tête-à-tête, de potier il n'y en a qu'un. Le narrateur, même s'il se dédouble, est Peter Handke. Car il pourrait bien s'agir d'une dialectique entre soi et soi-même.
Les deux voix qui s'entretiennent dans Tête-à-tête évoquent l'enfance, la magie du théâtre, cette troupe qui enflammait les imaginaires, le sortilège de la langue, le grand-père, le statut des aïeuls, ce dont on hérite - le poids de l'Histoire avec un grand H, tragique, qui engrosse les drames particuliers. Hiatus entre le réel et sa perception, désir de tangente, innocence perdue, mémoire trouble, identité torve... l'écrivain, dramaturge, poète, scénariste (notamment des Ailes du désir de Wim Wenders) décline ses motifs. Par le truchement de ses personnages, il aime se les entendre interpréter comme des ritournelles, il ne s'en lasse jamais, comme le nostalgique qui sélectionnerait à l'envi ses airs préférés sur le juke-box. Aucune monotonie, cependant mais, au bout du compte, de la joie, c'est-à-dire cette sublimation des larmes à travers le chant de la douleur.
Tête-à-tête
Gallimard
Traduit de l'allemand (Autriche) par Julien Lapeyre de Cabanes
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 12 € ; 64 p.
ISBN: 9782073077882
