Il y a des auteurs qui publient de nouveaux livres, et d’autres, plus rares et plus précieux, qui poursuivent leur œuvre. Sans conteste, le cas Christian Oster relève de la seconde catégorie. Du temps a passé bien sûr depuis Mon grand appartement (Minuit, 1999, prix Médicis) ou Une femme de ménage (Minuit, 2001, adapté au cinéma par Claude Berri), ses deux plus grands succès de librairie, mais il demeure fidèle à sa ligne narrative initiale, quelque part entre Gailly et Lapeyre, à ses fictions dépressives et pince-sans-rire.
Fidèle à ses obsessions aussi, comme dans Massif central, son dix-huitième roman, l’un des plus poignants et peut-être des plus beaux, qui est comme une libre variation autour du thème de l’œuvre d’Oster : la fuite. Soit donc Paul, plus ou moins quinquagénaire. Il fut architecte, il ne l’est plus. Il n’est plus grand-chose en vérité, naviguant à vue dans l’indécision du réel. Il a quitté une femme, Maud, faute de l’aimer encore. Ce qui ne l’a pas quitté en revanche, c’est la crainte de Carl Denver, un critique de cinéma à la violence sourde et inquiétante, qui fut avant lui le compagnon de Maud et pourrait avoir mal supporté la double trahison d’avoir d’abord été quitté, puis que la femme en allée le soit à son tour. Se sentant confusément épié, menacé, Paul va partir, quitter Paris et profiter de l’enterrement d’un confrère architecte pour se faire oublier du côté du Massif central, avec un détour vers Limoges, auprès de vagues amis oubliés depuis trop longtemps, un couple de prothésistes dentaires, un homme qui vit dans les arbres. Mais loin de s’éloigner, la menace que fait peser Denver, ou du moins son souvenir, se fait plus prégnante et précise à la fois. Paul fuit, Paul ressasse, Paul bat la campagne. "Je pensais à cette sensation que parfois quitter tue. Ou, plutôt, qu’un homme qui a vécu toute sa vie hors la vôtre réapparaît et tombe, comme revenu du silence trop tard pour en vraiment sortir."
De toute façon, aucun des personnages de cette manière de thriller qu’est Massif central ne parvient à sortir du silence, ni à donner un sens à sa fuite. Il n’est ici question que de temps qui passe, de désir (toute forme de désir) qui trépasse, et surtout d’une infinie solitude. Chacun est à lui-même son pire tourmenteur. Territoires, paysages, les lignes de fuite et d’horizon qui offraient jusqu’alors des perspectives aux héros "osteriens" ne sont plus que des leurres. Quelque chose noir. A jamais. O. M.