Avant-critique Roman

Patrick Grainville, "La nef de Géricault" (Julliard)

Patrick Grainville - Photo © Charlotte Krebs/Julliard

Patrick Grainville, "La nef de Géricault" (Julliard)

Patrick Grainville retrace l'histoire du tableau de Géricault Le Radeau de la Méduse, miroir des tourments d'un artiste et de son époque.

Parution 9 janvier

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Par Laëtitia Favro
Créé le 15.01.2025 à 14h00

Art dramatique. 1816. Au château du Grand-Chesnay, un peintre de 27 ans dîne avec son oncle et sa jeune tante. Au menu des discussions, le naufrage de La Méduse et l'affaire qui l'entoure, révélés par le Journal des débats. Géricault écoute, sans rien dire. « Quels sont ses premiers sentiments ? Quand naissent la grande intuition, l'ambition bouleversante ? » Deux siècles plus tard, le monde entier peut toujours détailler au Louvre les corps enchevêtrés du Radeau de la Méduse. Sur les cent quarante-sept personnes échouées sur cette embarcation de fortune, quinze sont encore en vie au moment du sauvetage, après « treize jours de solitude sur l'océan ». En novembre 1817, le géographe Alexandre Corréard et le chirurgien de marine Jean Baptiste Henri Savigny, tous deux rescapés, publient leur récit du naufrage. « Géricault envoûté. La grande image l'envahit. Un désir impossible. Ce qui se joue est infini. »

Avec La nef de Géricault, Patrick Grainville s'immisce dans l'intimité du geste artistique et, la plume vive, ardente, l'inscrit dans son époque, au diapason d'une capitale agitée par les prémices de la Restauration. Entre les arbustes en fleurs de la rue des Martyrs qu'arpente un Géricault enfiévré par ses visions, et les morgues de Bicêtre et de Beaujon où, dans les chairs en putréfaction, la palette de l'artiste trouve son inspiration, l'écrivain convie son lecteur à la naissance d'un chef-d'œuvre et dévoile les secrets de sa composition. On apprend ainsi que le mort écroulé, dont on ne voit que le dos, n'est autre qu'Eugène Delacroix posant pour Géricault, et qu'il aura fallu à l'artiste se confronter au « cauchemar » du cannibalisme. Mais la matière de cette toile exceptionnelle ne se résume pas à son sujet : elle se compose aussi d'éléments biographiques, du naufrage personnel que traverse Géricault quand, en avril 1818, son pinceau effleure enfin la toile. Le fils illégitime conçu avec Alexandrine, l'épouse de son oncle « chéri » et « trahi », protecteur et premier soutien, est sur le point de naître. Il sera placé dans une famille adoptive et déclaré de père inconnu. « C'est la toile de fond du Radeau. Cet arrachement, cette négation, cette révolte... Cette blessure, ce naufrage intime. » Après avoir ravivé le trio formé par Isabel Rawsthorne, Francis Bacon et Alberto Giacometti (Trio des ardents, Seuil, 2023), Patrick Grainville perce les secrets du génie opaque d'un artiste mort à 32 ans et partage avec générosité et un talent qui n'est plus à prouver sa fascination pour l'histoire de l'art au moment où elle s'écrit.

Patrick Grainville
La nef de Géricault
Julliard
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 288 p.
ISBN: 9782260056676

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