L'histoire est tragique. La grande, comme la petite - toutes ces vies entre les lignes du récit national, de la geste révolutionnaire ou d'exploits légendaires... Le destin que raconte le roman de Pablo Martín Sánchez, L'anarchiste qui s'appelait comme moi, est celui d'un homonyme de l'auteur, qui vécut au tournant du siècle dernier. C'est en cherchant son propre nom sur Google que Pablo Martín Sánchez, né en 1977, tombe par hasard sur ce compatriote anarchiste condamné à mort en 1924 ayant en partage ses prénom et patronyme. Le fruit du hasard devient objet de recherches, qui donne à son tour naissance à un livre de quelque 600 pages. L'auteur, seul hispanophone avec un écrivain argentin à être membre de l'Oulipo, nous entraîne dans les tribulations d'un jeune idéaliste qui s'opposa à la dictature de Primo de Rivera, premier ministre d'Alphonse XIII.
Le protagoniste, fils d'un inspecteur des écoles, quitte la région de Salamanque où il a passé son enfance pour Paris où il travaille chez un imprimeur et devient l'un des acteurs de la résistance antifasciste espagnole. Tout un décor s'anime. Et les pages qu'on tourne au rythme des gros romans d'aventures de faire miroiter, telle une lanterne magique, le paysage politique d'une Espagne déchirée entre réaction et rébellion, et les états d'âme de personnages hauts en couleur. Opposants républicains exilés en France, intellectuels de la « génération de 98 » (année du coup de grâce pour l'empire espagnol qui perd Cuba), comme Miguel de Unamuno, Ortega y Gasset, Blasco Ibáñez, ou combattants en armes... L'anarchiste qui s'appelait comme moi déploie l'effervescente fresque d'un milieu porté par l'espoir du changement. C'est également l'aventure formidable de ces liens qui se sont noués avec l'évidence des vérités du cœur : amitié entre Pablito, le héros homonyme de l'auteur, et Roberto dit Robinson, rejeton d'un aubergiste ex-syndicaliste ; passion entre le même Pablo et la belle Ángela, fille d'un militaire rétrograde.
Pablo Martín Sánchez a l'art consommé du feuilletoniste rompu au suspense de fin de chapitre (le fameux cliffhanger, ces ultimes instants d'un épisode de série). Il nous balade littéralement d'une époque à l'autre, au-delà et en deçà des Pyrénées, entrelaçant l'intrigue policière des activités clandestines des Espagnols en France et l'histoire d'amour avec Ángela en Espagne. Ce présent ouvrage s'insère dans une « trilogie du moi »dont le second volet déjà traduit, L'instant décisif (La Contre Allée/Zulma, 2017), se déroule en 1977, l'année de naissance de Martín Sánchez. Un troisième roman la clôturera avec une dystopie dans un futur proche et dans la ville natale de l'auteur. Car il s'agit ici bien plus d'autofiction que de roman historique : la véracité des événements ne servant autant qu'elle est au service de la vérité de l'écrivain.
L'anarchiste qui s'appelait comme moi Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Zulma & La Contre Allée
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23,9 0€ ; 608 p.
ISBN: 9791038700529