Dès octobre prochain, les lecteurs devront s’acquitter de frais de port d’un tarif minimal de 3 € jusqu’à 35 € d’achat, et de 1 centime supplémentaire au-delà.
Pour Amazon, qui s’oppose à la mesure, l’argumentaire est clair : 45 % des Français qui achètent des livres en ligne le font en raison de l’éloignement des points de vente physiques. Dans les communes rurales, cette proportion s’élève même à 81 %. Alors que la moitié des clients de sa librairie en ligne résident dans des communes de moins de 10 000 habitants, la société de vente à distance considère qu’une augmentation des frais de port s'avérera un obstacle supplémentaire dans l’accès à la lecture pour cette France des territoires.
« Très loin de la loi Lang »
Mais pour les librairies de zones rurales et des petites villes, la mesure peut parfois sembler insuffisante. « Les villages alentours ne disposent pas (ou presque) de commerces ; leurs habitants se rendent donc régulièrement en ville pour effectuer leurs achats et profitent de ces déplacements pour venir à la librairie », nous explique par exemple Stéphanie Denjean, qui tient l’enseigne Les Beaux livres à Ax-les-Thermes (Ariège). Si la libraire axéenne espère que la nouvelle loi réduira le nombre de « livraisons de confort », dont le coût écologique est indéniable, elle estime que le tarif de 3 € reste trop bas.
Plus en colère, sa consœur Laure Baud, du Moment Librairie, à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques), déplore un dispositif inepte qui n’a rien retenu des nombreuses contributions apportées par les libraires et leur syndicat lors de son élaboration. « On est très, très loin des courageuses lois Lang », explique-t-elle.
Les libraires tiennent à rappeler que le livre n’est pas un produit comme les autres : « À ce titre, il ne peut pas être vendu comme les autres », explique placidement Julien Garand, responsable de la Librairie de l’étoile à Cavaillon (Vaucluse), tout aussi désabusé que ses consœurs par une réforme qu’il juge inutile.
Alors qu’ils sont tributaires d’un prix du timbre de plus en plus élevé (actuellement, « plus de 4 € pour le moindre envoi d’un livre poche », nous indique Laure Baud), nombre de libraires indépendants ont l’impression que les autorités ne prennent pas la mesure de l’enjeu : à travers la question des frais de port, c’est l’esprit de la loi du prix unique qui est pour certains mis en péril.
Le cercle vicieux de la vente en ligne
De son côté, le Syndicat de la libraire française (SLF) fait pourtant valoir que le pays dispose de l’un des réseaux de librairies les plus étoffés au monde. Loin d’être absentes des zones rurales, les librairies indépendantes agissent souvent comme de véritables points de repères dans ces paysages.
Situés au carrefour de la culture et d’une pratique de la convivialité, ces commerces sont néanmoins les premiers touchés par l'essor de l'e-commerce, qui menace de les enfermer dans un cercle vicieux : d’après une récente enquête d’Ipsos, la première raison de non-fréquentation des librairies reste leur éloignement par rapport au lieu de vie du consommateur. Plus les librairies se font rares, moins les lecteurs sont susceptibles de les fréquenter, et donc, plus susceptibles de se tourner vers la vente en ligne.