Avant-critique Histoire

Nicolas Chevassus-au-Louis, "La guerre des bactéries. L'Institut Pasteur sous l'Occupation" (Vendémiaire)

Nicolas Chevassus-au-Louis - Photo © DR/Vendémaire

Nicolas Chevassus-au-Louis, "La guerre des bactéries. L'Institut Pasteur sous l'Occupation" (Vendémiaire)

Nicolas Chevassus-au-Louis a mené une enquête passionnante sur l'Institut Pasteur durant l'Occupation.

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Par Laurent Lemire
Créé le 29.03.2023 à 09h00

Labo ou collabo ? À l'origine il y a une lettre, stupéfiante. Datée du 11 mai 1944, elle est signée de Jacques Trefouël, adressée à Alfred Balachowsky déporté à Buchenwald et elle transmet ses amitiés au docteur Ding, médecin SS. « Que le directeur de l'Institut Pasteur ait pu ainsi correspondre, de la manière la plus civile, avec un chercheur interné dans un camp de concentration nazi tout en le priant de transmettre ses salutations à un de ses bourreaux me paraissait inconcevable. » Cette complexité de l'Histoire nous entraîne directement au cœur de cette Guerre des bactéries où le paradoxe n'est pas le moindre élément troublant de cette époque opaque. Car si la vie de Pasteur est bien documentée - on l'a vu lors de son bicentenaire en 2022 -, celle de son institut est beaucoup plus discrète, surtout durant l'Occupation.

Avec Nicolas Chevassus-au-Louis, nous pénétrons dans la zone sombre des compromissions et des crises de conscience, le domaine de la biologie et des expérimentations étant particulièrement apprécié par les nazis qui y recherchaient des validations scientifiques de leur racisme. Classé établissement utile à la Défense nationale depuis 1936, l'institut compte au début de la Seconde Guerre mondiale cent vingt chercheurs. Très vite, l'Allemagne attend qu'il lui fournisse des sérums et des vaccins contre la diphtérie, le tétanos et le typhus. Mais l'esprit pasteurien constitue une souche plutôt résistante à l'idéologie du IIIe Reich. L'institut devient ainsi le dépôt pharmaceutique central des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). À la Libération, le comité d'épuration met en cause trois personnes sur les six cents que compte l'établissement dont cent douze scientifiques. Parmi eux Ernest Fourneau, le prédécesseur de Trefouël, qui évoquait « la grandeur du gentil Hitler ».

Avec des documents inédits, le journaliste révèle une histoire peu connue. L'institut n'a pas été vidé de ses forces vives durant l'Occupation. Malgré la pénurie de papier, il a même continué la publication de ses Annales. « L'activité industrielle de l'Institut Pasteur sous l'Occupation a été plus intense encore que son activité scientifique, déjà considérable. » Il a livré de grandes quantités de produits pharmaceutiques à l'occupant, mais il en a détourné au moins autant. Il a aussi protégé des chercheurs persécutés parce que Juifs, même si des hautes figures comme Eugène et Elisabeth Wollman ont été arrêtés et assassinés à Auschwitz. Pendant quatre ans, nous suivons la tribu des pasteuriens avec ses us et coutumes, ceux qui se méfient de la rentabilité et ceux qui y cèdent. « Un sixième du personnel scientifique s'engage dans la Résistance », souligne Nicolas Chevassus-au-Louis, un taux très important si on le compare à d'autres milieux universitaires. Son ouvrage s'inscrit dans la lignée de son étude publiée au Seuil en 2004, Savants sur l'Occupation (Perrin, « Tempus », 2008). Il est indispensable pour ce qu'il nous dit des scientifiques et de leurs accommodements au cœur des années noires.

Nicolas Chevassus-au-Louis
La guerre des bactéries. L’Institut Pasteur sous l’Occupation
Vendémiaire
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 21 € ; 240 p.
ISBN: 9782363584007

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