Leurres d'ailleurs. D'après SOS Méditerranée, plus de 20 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée centrale depuis 2014 en voulant traverser cette mer reliant deux univers. L'un dont l'horizon semble bouché, l'autre qui représente soi-disant de multiples possibilités. Mais ces chiffres vertigineux tendent à désincarner ces êtres humains aux destins tragiques, qui ne laissent pas Neïla Romeyssa indifférente. Cette jeune auteure de 23 ans a elle-même quitté l'Algérie pour rejoindre la France. Son projet « Commun exil », en podcast et sur Instagram, vise à donner la parole aux exilés de la planète. Elle leur donne un visage beau et juste dans ce premier roman sensible, dédié à ceux qui ont péri lors de leur périple en mer. Son héros Salim sent que « la rudesse du temps l'a fané ». Souvent défoncé, il préfère oublier le manque de travail et de perspectives à Alger. « La drogue est le bouche-trou du néant » qui le ronge jour après jour. « Le désespoir, il n'a pas submergé qu'une seule génération : c'est tout un pays qui est emporté par cette foutue tourmente. » Alors, comme bon nombre de candidats à l'exil, il scrute la mer. « [Elle] est ma seule putain d'échappatoire. C'est aussi mon seul grand amour. » Mais son aspect paisible s'avère trompeur... Comme l'Europe, perçue comme ultime eldorado par tant de jeunes aspirant à un autre avenir. « Au fond je ne suis qu'un enfant rêveur, avide de jolies illusions, un enfant qui idéalise un autre monde, celui qu'il ne connaît pas. Ici, il y a un rêve que l'on partage tous. Partir. » Encore faut-il en avoir les moyens, et le courage de braver l'inconnu. Salim n'est pas du genre à se laisser démonter, malgré le chagrin qu'il inflige à sa mère. Il sait qu'il n'a pas le choix. « T'as les visionnaires et t'as les désillusionnaires, bref ceux qui ont perdu espoir. Le désespoir nous a poussés à quitter une terre. L'espoir nous donne envie de débarquer sur une autre. » Il s'agit là d'un chemin de croix à partager avec d'autres candidats prêts à tout pour sauver leur peau. Quand on est à bord d'un bateau dépourvu d'un moteur décent, la Méditerranée paraît soudain menaçante et interminable. La peur et la faim vont-elles avoir raison de leur envie de rejoindre les terres espagnoles ? Ou est-ce que « l'euphorie et la joie de vivre sont désormais entre nos mains » ?