1er avril > Roman France

Pour son troisième roman, Agnès Vannouvong a choisi le thème du retour aux origines, de la réappropriation d’un passé à la faveur d’une étrange renaissance, le tout dans le Triangle d’or, aux confins de la Thaïlande, de la Birmanie et du Laos, une vaste zone tropicale dominée par le Mékong. On est en pleine période de mousson. Cela ne semble pas gêner l’héroïne, May, une femme aquatique qui se baigne dès qu’elle le peut, voluptueusement. "Nager, dit-elle", écrit Agnès Vannouvong, en un clin d’œil bienvenu à Duras l’Asiatique, celle du Barrage contre le Pacifique, et au film de Régis Wargnier, Indochine, sensuel et humide.

May, donc, a 50 ans. Elle est née en Thaïlande, à Krung Thep, la ville au Bouddha d’émeraude et au nom le plus long du monde. Sa mère, dont on nous raconte l’histoire, l’a emmenée en France, où elle a fait sa vie. Un mari, deux enfants. Mais, après 30 ans, les enfants sont partis, le couple s’est séparé. Elle a fait une dépression. Aussi saisit-elle avec ferveur l’opportunité qui lui échoit : son meilleur ami gay, Stéphane, est mort dans des circonstances mystérieuses, sur l’île de Koh Sanet, dans un accident de moto. Il a fait d’elle son héritière, lui léguant 100 000 euros, avec quoi elle décide de partir pour la Thaïlande, de se rendre sur les lieux même où Stéphane a disparu, d’essayer d’élucider les causes de sa mort. Ce faisant, elle redécouvre aussi son village natal, le pays d’origine de sa mère, et cette nature, cette jungle obsédante, angoissante, mais aussi formidablement envoûtante. Elle se sent étrangère, elle a largué les amarres avec sa vie d’avant, et peut désormais assumer son passé, si longtemps refoulé.

Naturellement, le voyage est périlleux, malgré l’expérience et l’efficacité de son guide, Say, avec qui s’esquissera un début d’amour sans lendemain. Elle manque se faire violer par un ivrogne, rencontre un homme à Bangkok, à une fête chez des expats de l’ambassade de France. Mais, obstinée, elle poursuit sa quête, et apprendra, au final, ce qui semble être la vérité : une histoire de yaba, la drogue locale. On n’en dira pas plus.

Le récit d’Agnès Vannouvong, subtilement maîtrisé, se déroule comme le cours du Mékong, sinueux, forcément sinueux. Parfois, avec May, le lecteur croit se perdre dans la jungle. On pense à La voie royale de Malraux. Et puis, avec ses mots en guise de coupe-coupe, parfois familiers, la romancière nous remet sur la piste et nous livre, une à une et avec une feinte désinvolture, au détour d’une page, une autre des mille et quelques pièces du beau puzzle asiatique qu’elle a conçu. Jean-Claude Perrier

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