Comme son titre, ainsi qu’une « note de l’auteur » en fin de volume, l’indiquent, Nina Simone, roman ne se veut pas un biopic fidèle, mais bien une fiction inspirée de la vie de la star, avec quoi Gilles Leroy clôt sa trilogie américaine. Alabama Song (prix Goncourt 2007), Zola Jackson (2010), Nina Simone, trois destins de femmes américaines en crise, au bord de la folie, de la déchéance dont deux Noires victimes du racisme. A un moment, d’ailleurs, Nina, lors d’une des nombreuses phases dépressives de son existence, croise, dans une clinique psychiatrique d’Asheville, Caroline du Nord, la malheureuse Zelda Fitzgerald, juste avant qu’elle n’y mette le feu et périsse. Licence romanesque, puisque la femme de Scotty est morte en 1948, quand celle qui s’appelait encore Eunice Kathleen Waymon n’avait que 15 ans !
Gilles Leroy a choisi de situer son roman tout à la fin de la vie de Nina Simone, lorsque celle-ci habitait en France, dans une villa sinistre près de Marseille où elle est morte en 2003, à l’âge de 70 ans. Malade d’un cancer, alcoolique, caractérielle, paranoïaque, amère, en pleine débâcle artistique et financière, Nina est entourée d’une bande d’escrocs ingrats et ringards qu’elle appelle « les Harry ». Pour apporter un peu de sang neuf, avoir quelqu’un à qui se fier, elle engage Ricardo, un homme à tout faire philippin, son dernier ami. Ce personnage est une jolie trouvaille de Gilles Leroy, qui lui permet en outre d’intercaler dans son récit à la troisième personne de longs monologues où Nina, souvent éméchée, égrène la litanie de ses souvenirs.
Ces pages-là, violentes, drôles ou émouvantes, sont, elles, plausibles, proches de la réalité. Redevenant Eunice, Nina raconte son enfance de petite fille d’un barbier prédicateur et d’une révérende, très tôt surdouée pour la musique. Elle a l’oreille absolue, joue du piano en virtuose. Et rêve de faire une carrière de concertiste. Elle passe des concours. Mais, dans l’Amérique ségrégationniste des années 1940, impossible pour une « nigger » d’entrer à la Juilliard School de New York. Elle en concevra un sentiment d’injustice et de révolte, qui la conduira à soutenir la cause noire jusqu’à l’extrémisme des Black Panthers. Quant à sa carrière, Gilles Leroy nous dépeint la chanteuse comme une diva détestant la chanson, le jazz et ses succès populaires. Elle se rêvait en Callas, et ne fut même pas Billie Holiday.
Cette Nina Simone réinterprétée est une sacrée héroïne romanesque, aussi monstrueuse et horripilante que pathétique. Seuls demeurent, de cette artiste d’exception - malgré elle ? -, quelques chefs-d’œuvre, dont une version éblouissante et « afro » de My Way. Jean-Claude Perrier