« Au total, j’aurai mis plus de 200 000 euros de ma poche pour la librairie », calcule Waldeck Moreau. Lorsqu’il ouvre la librairie L’Opuscule, en 2019, ce passionné de livres, ancien salarié dans l’événementiel, imagine alors faire de son enseigne un repère culturel à Montpellier. Mais les difficultés ne tardent pas à s’accumuler. Contraint de baisser le rideau le 4 janvier prochain, le libraire ne pourra envisager une réouverture qu’à la condition de trouver un nouveau local.
D’abord, il y a eu les manifestations des Gilets jaunes. « Parce que la librairie est située à proximité de la préfecture, elle a un peu été la planque des CRS », se souvient Waldeck Moreau. Puis est arrivée la pandémie de Covid, obligeant les commerces jugés non essentiels à rester fermés. Pour tenir, le libraire, qui n’a pas bénéficié d’aide, a alors contracté un prêt bancaire de 12 000 euros.
Charges importantes et manque de visibilité
Outre ces difficultés conjoncturelles, un autre handicap, plus durable, a également pesé lourd sur la trésorerie. Nichée dans une rue discrète, L’Opuscule manque cruellement de visibilité. Le libraire décide alors d’explorer la piste du déménagement. « Mais pour aller où ? Là où les rues sont passantes, le droit au bail est hors de prix », soupire-t-il. Car plus que la hausse des loyers, c’est le système immobilier lui-même qui asphyxie Waldeck Moreau. « Le gros problème, c’est cette notion moyenâgeuse de l’acquisition du droit au bail, sorte de taxe de droit d’entrée pour occuper un local commercial », dénonce-t-il.
À ce passe-droit au coût relativement élevé se sont ajoutés les frais d’aménagement, les charges, les pertes liées au Covid, puis les dégâts collatéraux d’une rénovation imposée de la façade de l’immeuble, qui a encore réduit la visibilité de la librairie pendant plusieurs mois. « La Drac m’a bien accordé une aide financière, mais seulement au bout d’un an et demi d’activité », déplore-t-il. Dans un contexte où la lecture recule et où le pouvoir d’achat se contracte, la note est devenue particulièrement difficile à absorber.
« Je n’ai pas vraiment de plan B, hormis celui de trouver un autre local »
Pour tenter de s’en sortir, Waldeck Moreau entreprend dès 2023 de revendre son droit au bail afin de déménager. L’opération s’étire sur deux années, durant lesquelles il accumule les prêts, lance des bons d’achat et sollicite collectivités et institutions du livre. Autant de solutions partielles, parfois sans effet, qui le conduisent finalement à céder son bail. Le repreneur arrivant le 4 janvier, le libraire devra donc quitter les lieux au lendemain des fêtes.
« Je n’ai pas vraiment de plan B, hormis celui de trouver un autre local », confie Waldeck Moreau, quoi qu'il ait repéré un local intéressant de 200 m². Problème : le montant du loyer est particulièrement lourd. « Je ne sais pas si je serai en mesure d’encaisser. Il faudrait donc que je parvienne à vendre trois fois la somme du loyer à l’année pour m’en sortir », analyse-t-il.
Si sa banque est pourtant disposée à le suivre, le libraire préfère attendre « un retour de la métropole de Montpellier, qui pourrait préempter un local ». À la suite de l’écho médiatique autour de sa situation, la municipalité s’est finalement manifestée ce week-end par l’intermédiaire du groupe public Altémed, chargé de la préemption d’un certain nombre de locaux pour redynamiser le territoire. Une solution envisagée comme transitoire, dans l’attente d’un local plus en adéquation avec les besoins et les contraintes liés à un commerce tel que la librairie.
« On se sent un peu seul face à nos difficultés »
« Je vais tout de même connaître une période d’interruption de mon activité, reconnaît Waldeck Moreau. Alors que la librairie L’Entrée Libre a fermé il y a peu, ce serait dommage de voir deux libraires baisser le rideau à trois des municipales. »
Dans l’attente d’un dénouement, le libraire, qui n'a pas encore arrêté sa décision, se concentre sur la fin de l’année. « J’ai 80 000 euros de stock, ce qui représente près 10 000 références. L’objectif est d’en écouler un maximum, de faire quelques retours et de conserver le reste - le fonds de préférence - pour le prochain local », explique-t-il. Avec un risque : « Si je n’écoule pas tout, il y aura encore de l’argent perdu ». À l’approche de la fermeture de son emplacement initial, rue Saint-Firmin, Waldeck Moreau confie, un peu amer : « On se sent un peu seul face à nos difficultés. »
