Fitness oblige. Les doigts engourdis par le froid tapotent le même message aux proches : elle se sépare. Ambiguïté d'un verbe dont la narratrice de Mise en forme embrasse toutes les acceptions. Se séparer d'avec quelqu'un ou de soi-même − se cliver. « "Je me suis séparée." Cette phrase impliquait que je m'étais aussi fractionnée, divisée en deux, voire davantage. » On est en miettes : dans l'amour ou sa fin, c'est corps et âme qu'on éprouve l'union et la rupture. Ainsi, dans ce récit entre la confession et l'essai, Mikella Nicol tente-t-elle, au sortir d'une histoire, de se reconstruire grâce au fitness - ces exercices de gym qui vous remettent en selle, ou plutôt sur un tapis de course. L'écrivaine québécoise, le cœur brisé, commence par le corps et entend se reconstituer au moyen du bodybuilding, l'intendance psychique suivra... « Mon apparence est le dernier rempart contre mes échecs et je suis contente qu'il me reste quelque chose qui ressemble à une ambition, quand tout est fini. » À la salle mais aussi chez soi devant des cours diffusés sur YouTube (des home workouts, « exercices maison »), c'est le rituel des squats, des burpees, des crunchs et autres séances d'abdos fessiers. L'idée d'un corps ferme vire à l'obsession. Elle qui de son propre aveu « ne [s'est] jamais reconnue dans les jeux de la féminité [...] [se] situe à l'orée du concept, l'observant de loin ». Anna Renderer, Brittany... Les coachs sportifs féminins défilent sur son écran et aboient des injonctions d'efforts physiques jusqu'à « la brûlure ». « Imaginez-vous, intime encore Anna Victoria, que vous tenez un sou entre vos fesses et votre vie en dépend, OK ? C'est à ce point-là que vous devez les serrer ! »
Mêlant à la pratique du formatage de la silhouette les théories féministes (Kathy Acker sur le langage, Mona Chollet sur la beauté fatale), la narratrice brosse un portrait d'elle-même en jeune femme contemporaine indépendante et paradoxalement angoissée. Elle quitte un amant pour un autre pour devancer la rupture, elle a du mal avec l'idée de couple mais a besoin d'être rassurée, elle se veut libre et cherche le lien. Comme dans son roman Les filles bleues de l'été (Nouvel Attila, 2022) qui mettait déjà en scène deux amies abîmées et en quête de reconstruction, l'autrice élabore ici une délicate réflexion sur le désir et sa part d'ombre - être enfermée dans le regard de l'amant. Comment rester soi quand on aime, comment ne pas répondre à la demande de l'autre ? Mise en forme pose en creux la question : le désir saurait-il être sans quelque emprise ?
Mise en forme
Le Nouvel Attila
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 17 € ; 176 p.
ISBN: 9782493213631