C’est le mystère le plus fréquenté du moment. Alors que celui autour de celle à qui on la compare déjà, Elena Ferrante, semble vouloir se dissiper, Clara Magnani, qui publie Joie, son premier roman, attire vers elle toutes les supputations de ceux qui tendent à confondre filature et critique littéraire. Qui est cette romancière qui choisit pour pseudonyme celui du personnage féminin de son livre ? Est-elle même seulement une femme ? Son éditrice, Sabine Wespieser, prétend ne savoir d’elle que ce qu’elle a bien voulu lui concéder et, comme on la sait peu friande de gesticulation éditoriale, on prendra le parti de la croire : elle est belge, elle vivrait à Bruxelles.
Clara Magnani, donc. Animatrice d’une émission à vocation culturelle sur la radio belge. La quarantaine, assez sûre de son charme pour n’en pas faire plus état que nécessaire, un mari professeur de physique à Princeton, nobélisable, deux enfants. La belle affaire. Et puis il y a Gigi, merveilleux cinéaste italien septuagénaire, qui sera foudroyé par une crise cardiaque en écoutant Bach sur la terrasse de sa maison romaine, ayant accompli sa plus belle œuvre : mourir sans s’être jamais autorisé à être vieux, ni même adulte peut-être. Lui aussi est marié, à une professeure de littérature à l’université, a deux enfants, dont une fille, Elvira, qu’il adore. Bientôt, parce que lorsque l’on a perdu son père dans les rangs des Partisans à la Libération dans de troubles circonstances, il ne saurait être question d’être raisonnable, Gigi tombe amoureux de Clara. Bientôt, Clara l’imite. Durant quelques années, les deux vont vivre un amour profond, charnel, serein, moins en pointillés qu’en voyage, infiniment respectueux de la liberté de soi, d’autrui autant que de celle des conjoints et familles respectives.
C’est un "mature love" ainsi qu’ils aiment à l’appeler, courtois finalement, autant que débarrassé de toute culpabilité. On fera l’amour, la sieste et la cuisine. On s’écrira. Il sera question de Gramsci, de la vague mourante du gauchisme, de la vie amoureuse de Rossellini, de bains de mer, de la Méditerranée et d’une maison en Sardaigne. Et ce qui n’aurait pu être qu’une bluette parée des oripeaux d’une vague plus-value bobo se transforme par la grâce de l’écriture de Clara Magnani, simple, moins soucieuse d’effets que d’être au plus près de la peau de ses amants, en un plaidoyer pour le bonheur, les accords secrets des uns aux autres. En route pour la joie. Olivier Mony