Nous sommes à Nairobi, fin 2007, au moment de l’élection présidentielle. L’enjeu du scrutin contribue à raviver les haines tribales qui empoisonnent l’histoire du Kenya. Kikuyus, l’ethnie majoritaire, contre Luos, entre autres, et tout ce monde contre les Massaïs, des espèces de parias en voie d’extinction, obligés de choisir entre leur mode de vie pastoral traditionnel ou l’intégration et la perte - apparente - de leur identité. Car même policier, en costume-cravate dans les rues de Nairobi, un Massaï reste un Massaï, un guerrier insensible à la douleur et à la fatigue, un pisteur qui n’abandonne jamais. Le sergent Mollel, le nouveau détective imaginé par Richard Crompton, est cet homme-là.
Un personnage cabossé par la vie : il a perdu sa femme dans un attentat terroriste contre l’ambassade américaine, où il a failli rester lui-même. Et ne s’en est jamais consolé. Il a un fils, Adam, qu’il aime, mais dont il peine à s’occuper seul, surtout avec son travail. Sa belle-mère, Faith, essaie d’ailleurs de lui en faire retirer la garde. C’est dire que Mollel n’est pas dans les meilleures dispositions lorsque son chef lui confie une enquête douloureuse : Lucy, une jeune poko (prostituée) massaï, a été retrouvée morte dans un parc de la ville, victime de mutilations. S’agit-il d’un "banal" crime de sadique, ou d’une affaire bien plus complexe ?
Lucy, cornaquée par son amie Honey, de même origine et de même "métier" qu’elle, avait d’inquiétantes fréquentations : un vieux Blanc, Lethebridge, homme à tout faire des Nalo, George et Wanjiku, lui gourou d’une secte, elle gynécologue aux pratiques douteuses. Tous deux, richissimes, sont liés à David Kangori, le puissant patron d’Equator Investments, un oligarque qui a tout intérêt à ce que Kibari soit élu président. Ce qui va d’ailleurs être le cas, grâce à une fraude massive que Mollel et son adjoint, Kiunga, vont découvrir.
Pour son premier roman, Richard Crompton, journaliste pour la BBC installé au Kenya depuis 2007, a réussi un cocktail séduisant et efficace : drame psychologique, action et peinture réaliste du pays, de la culture massaï, de la situation politique, de la corruption. Après la star Mma Ramotswe, d’Alexander McCall Smith, le sergent Mollel fait son entrée dans la grande famille du polar africain. On lui souhaite une aussi longue vie littéraire. Jean-Claude Perrier