Les femmes aussi. L'escroquerie n'est pas l'apanage des hommes. En matière de truanderie, des femmes ont montré leur savoir-faire et parfois même leur génie, notamment durant les Années folles. Évidemment on pense à Marthe Hanau, rendue célèbre par l'interprétation de Romy Schneider dans le film La banquière de Francis Girod en 1980. Mais elle ne fut pas la seule à jouer avec la candeur des épargnants. La journaliste Marina Bellot a retenu deux autres « escrocs en jupons » pour cette plongée dans les années 1920 : Mary Darcy, la reine du recel qui tenait boutique rue Fontaine, pas très loin du domicile d'André Breton, et Renée Saffroy, la fausse aristocrate surnommée par la presse « la marquise aux cent vies » ou « la Stavisky du Périgord ».
Ces trois femmes sont suivies pas à pas, dans leurs origines sociales souvent modestes, leurs méfaits et bien sûr leurs déchéances. Car tout se paie, parfois chèrement. La période, désignée « Années folles » à partir des années 1960, n'est pas anodine. L'après-Grande Guerre est abordée par les Français avec un soupir de soulagement et par les Françaises avec une certaine amertume. Après avoir participé au sursaut de la nation en occupant les emplois des hommes partis au front, elles sont priées de reprendre leur tablier et le chemin de la cuisine et des layettes. Mais certaines parmi celles qu'on ne voyait que comme femmes au foyer, mères et couturières, se sont confectionné un autre destin en tirant leur épingle du jeu. Le renouveau de la scène culturelle à Paris, à Montmartre, à Montparnasse et à travers le mouvement surréaliste autorisait des perspectives inédites. L'embellie économique attisait aussi les convoitises, mais la plongée dans l'illégalité conduisait le plus souvent à Saint-Lazare, la prison pour femmes.
Avec un bel allant, Marina Bellot déroule la vie de ces trois femmes qui illustrent à ses yeux les revendications de toutes les autres : « soif de liberté, ambition, revanche, séduction, manipulation, quête de pouvoir, renversement des rapports de domination. » Mais les feux du plaisir et de l'opulence cachent une réalité plus sombre. Après avoir tutoyé les sommets de la finance et inquiété ses collègues masculins, Marthe Hanau achève sa vie un tube de véronal dans une main et le Manuel d'Épictète dans l'autre. Mary Darcy retourne à la misère d'où elle venait et Renée Saffroy aurait fini espionne et trafiquante en Italie. Marina Bellot les aime bien, ces « arnaqueuses des Années folles ». Elle reconnaît néanmoins qu'elles n'éprouvent aucune empathie pour les faisans qu'elles plument. Seul compte le profit qu'elles en tirent. Et pourtant, comme les artistes qui se sont illustrés durant cette période, « elles sentent leur époque, en captent les signaux faibles et déploient des trésors d'ingéniosité pour faire exploser les carcans qui les enserrent ».
Les destins de ces grandes filoutes offrent une vision particulière de cette épique époque qui s'achève avec le krach de 1929. Car, évidemment, cette course à l'entourloupe ne présage rien de bon pour la suite.
Les arnaqueuses des Années folles
Tallandier
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 224 p.
ISBN: 9791021055230