Lorsqu’on se penche sur son passé, notamment comme Gilles Gauthier à l’occasion d’un livre de souvenirs, des évidences apparaissent: certains pays nous attendaient, nous étions faits pour eux. Pour les écrivains français, c’est souvent le Japon, la Chine, la Sibérie ou l’Inde. Et le Proche-Orient, bien sûr, qui exerce sur les Occidentaux, depuis toujours, un irrépressible attrait, une fascination mêlée d’un peu de crainte, d’inquiétude de ne pas être à la hauteur, malgré toute leur empathie. Et puis il y a les peuples, leur charme puissant qui agit sur le voyageur de passage, et plus encore sur celui qui partage leur vie.
Ce fut le cas de Gilles Gauthier, depuis 1966, quand, jeune coopérant en Algérie, il s’est retrouvé au lycée de Batna seul professeur français dans les Aurès, quelques années seulement après la fin de la guerre, avec ses plaies encore mal cicatrisées. Il fallait du courage. Mais il n’a rencontré, chez ses élèves et leurs familles, nulle rancœur, nulle hostilité vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, de sa langue ni de sa culture, au contraire. Durant près d’un demi-siècle, à l’exception de quelques années en poste à Paris, où on l’imagine brûlant du désir de repartir, il a vécu en Orient, il a vécu l’Orient. Professeur de français, d’espagnol, notamment au Maroc, où son engagement actif auprès des militants du Front Polisario, ennemis jurés du roi Hassan II, lui a valu d’être expulsé en 1977. Puis diplomate à partir de 1982, en poste à Bagdad, puis à Alger, pour un retour étonnant, toutes ces années après, puis à Bahreïn, au Caire, à Beyrouth, à Alexandrie… Une carrière dans la sphère culturelle jusqu’à ce jour de 2006 où, enfin, il est nommé par le président Chirac ambassadeur au Yémen, son bâton de maréchal. Il y demeurera trois ans avant de prendre sa retraite.
Aujourd’hui, Gilles Gauthier vit entre Paris, conseiller de Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, et l’Egypte, le pays de son cœur. Comme il n’y a pas de hasard, c’est lui qui a traduit en français les romans d’Alaa El Aswany, à commencer par le célèbre Immeuble Yacoubian. Recueil de souvenirs enrichi de considérations géopolitiques, Entre deux rives, riche et envoûtant, s’achève par une réflexion sur l’islam d’aujourd’hui, devenu une "idéologie" avec ses terribles dérives, cette guerre mondiale qui ne dit pas son nom. J.-C. P.