La police. Quelque chose s'est passé chez les voisins. De leur côté, eux n'assurent n'avoir rien remarqué. La voix qui parle dans De l'autre côté du lac de Xavier Lapeyroux est calme, lente, détachée, elle appartient à un homme, Hermann, père d'une adolescente, Sam. L'homme est marié à une femme tout son contraire, solaire et vivace, Soma. Leur villa se situe dans le quartier résidentiel La Colline. L'azur du cliché de la carte postale s'est pourtant assombri. Le temps semble avoir tourné. Sous ce ciel d'orage on suffoque, on sent une certaine fébrilité, même au Pavillon Mercure, le foyer de jeunes où le narrateur travaille, rien n'est plus pareil, la mécanique de la routine a commencé à se détraquer.
Hermann, homme d'habitude, joue aux échecs contre lui-même, il aime tout prévoir, mais bientôt le plancher de sa vie sans heurts se dérobe sournoisement sous ses pieds. Soma a un fibrome apparemment bénin, la mort est sursise. A l'hôpital où il l'a accompagnée pour des tests, l'atmosphère est pesante, en dehors ce n'est guère mieux : « Très vite d'autres menaces surgissent, cette chaleur étouffante, le bruit de la circulation, et celui de la sirène, les gaz d'échappement, l'air vicié. Et la présence des ondes électromagnétiques. Depuis quelque temps, d'imperceptibles picotements me rappellent leur présence, l'impression que ma peau est la proie d'une nuée d'insectes microscopiques. »
Il y a eu cet événement chez Erik Jensen, cet impavide voisin d'origine danoise toujours impeccablement mis : l'un de ses jumeaux, Pierre et Oscar, est mort, Oscar a tué Pierre avec une arme à feu, par accident. Jensen est curieusement dénué d'émotion, quand il parle de ses enfants, il parle d'eux au présent. L'autre jour, Hermann s'est promené avec Sam. Père et fille voient une maison identique à la leur de l'autre côté du lac. Sam voulait en savoir plus, mais un molosse venu de nulle part leur barre la route. Hermann a l'intuition d'un grand péril menaçant sa famille.
Dans ce troisième roman, Xavier Lapeyroux instille avec maestria un sentiment d'étrangeté proche de l'aliénation. On pense autant aux bijoux du récit de démence, Le Horla ou Gogol, qu'à la fantastique Invention de Morel de Bioy Casares. La folie n'est jamais aussi folle que lorsqu'elle tutoie le réel, entre chien des enfers et loup des bois.
De l’autre côté du lac
Anne Carrière
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 euros ; 230 p.
ISBN: 9782843379246