Dans les journaux, tous les jours, des conflits à "seulement quelques centaines de kilomètres de nos frontières", selon l’expression consacrée : des villes détruites et des villages assiégés aux noms exotiques… Jean Rolin, qui a souvent fréquenté ces théâtres guerriers, n’a pas pris cette fois la peine d’aller bien loin. C’est dans la campagne éternelle de la douce France, dans un futur un peu anticipé, qu’il a imaginé Les événements, une guerre civile qui, selon les indices distillés au début avec parcimonie, ressemble à un conflit religieux opposant chrétiens et musulmans.
Profitant d’un cessez-le-feu plus ou moins protégé par "la Finuf, la Force d’interposition des Nations unies en France", le narrateur, un Français, quitte Paris mis à sac, direction le centre du pays. Il dispose de quelques biens devenus précieux : une Toyota avec suffisamment de carburant pour rouler jusqu’à Clermont-Ferrand, un pistolet semi-automatique, quelques paquets de biscuits et des cigarettes. Ni combattant ni journaliste, notre homme a un statut indéterminé, plutôt neutre. Il semble être plus occupé à sauver sa peau qu’à s’engager auprès de tel ou tel camp, plus attentif à lire les cartes IGN, repérer les espèces locales d’oiseaux et observer l’état de la végétation. Il doit néanmoins apporter un colis de médicaments à un ami de jeunesse, Brennecke, "le colonel", chef d’un mouvement de "coloration nationaliste - voire fascisante, du point de vue de ses détracteurs", installé à Salbris en Sologne et qui avec ses hommes, "les Unitaires que le public désignait volontiers comme les Zuzus", a noué une "alliance de circonstance avec le Hezb, le parti islamiste dit "modéré"".
Là, le narrateur retrouve aussi Victoria, une femme de leur passé intime commun, connue "longtemps avant la guerre", qui l’entraîne dans le projet d’aller extraire son fils (leur fils ?), engagé dans une coalition de milices d’extrême gauche qui combattent sur le très actif front marseillais, dans la "poche" de Port-de-Bouc, "de part et d’autre de la N568". Mais avant d’atteindre cet objectif, les fugitifs auront progressé vers le sud à travers le Massif central, par les routes secondaires, essayant - en vain - d’éviter les contrôles…
Transposition dans le temps et dans l’espace d’un conflit qui paraît ironiquement les concentrer tous, ce roman, souvent burlesque, propose moins un scénario de politique-fiction visionnaire qu’une fiction géostratégique un peu délirante, à la fois terriblement sérieuse et tragiquement risible. La précision pointilliste des descriptions, la familiarité bucolique des paysages installent un effet de réel qu’atténue, plus mélancolique et fataliste que jamais, l’habituel humour à froid de l’écrivain. Et comment ne pas trouver absurde ce chaos moins futuriste que déjà vu, et dérisoires, ces batailles de territoires aux motivations ambiguës ? Pendant qu’insensibles aux Evénements, les rivières coulent sous des ponts détruits. Véronique Rossignol