« Just do it » (« Y a qu’à le faire »), « Deviens ce que tu es », « Pensez différent »… autant d’injonctions que nous assènent les réclames des marques internationales en vue de nous faire acheter, qui une paire de baskets, qui un polo, qui un ordinateur… A l’ère de l’hypercommunication et de la connexion Internet, tout devient possible. C’est le joyeux méli-mélo des genres ! Mixez l’information et le divertissement et vous aurez l’infodivertissement, un spectacle en continu mêlant les dépêches d’agences de presse aux potins people ; quant à la télé-réalité, c’est la célébrité à la portée de monsieur ou madame Tout le monde. L’invention de soi n’est plus l’apanage des dandys, le consommateur mondialisé du XXIe siècle est devenu l’homo globalis, l’homme global capable de tout, à tout moment… Vraiment ? Non, répond Carlo Strenger qui vient de signer dans la collection « L’esprit d’ouverture » chez Belfond La peur de l’insignifiance nous rend fous . Une quête de sens et de liberté pour le XXIe siècle. Le psychanalyste « existentialiste » helvético-israélien y fait un état des lieux (Partie I : La défaite de l’esprit) et ausculte l’individu contemporain (Partie II : Du « Moi » marchandise au drame de l’individualité) avant de proposer un remède (Partie III : Rétablir l’esprit). Il ne s’agit pas d’un manuel de self-help, mais bien d’une réflexion aboutissant à un retour aux sources de la philosophie épicurienne (« loin du stéréotype de l’hédonisme glouton ») : revenir à l’essentiel… Donner tout son sens à l’existence en se frottant à son âpre réalité plutôt qu’en se berçant dans l’illusion de sa plasticité infinie.
Où pèche cette philosophie du « Just do it » ? Justement dans l’idée que la liberté équivaudrait au choix consumériste et que, dans le grand marché de la vie, le moi est un produit comme un autre, échangeable à loisir.
Comprendre ses limites n’est pas fataliste pour autant. Et Strenger de citer, auteurs à l’appui, l’exemple de la crise de la quarantaine. Une remise en question d’autant plus aiguë que, dans une société soumise à une concurrence à tous crins, ceux qui ne répondent pas aux critères de la réussite se sentent en situation d’échec. Deux attitudes possibles, démontre le professeur de « psychologie existentielle » de Tel-Aviv : acceptation de la finitude (Elliott Jaques) - nous concentrer sur ce que nous sommes et savons faire car le temps est compté - ; ou bien, déni de la mort (Ernest Becker) - adopter une posture « héroïque » et grâce à sa propre créativité produire des œuvres qui survivront. Contradictoire en apparence, en apparence seulement.
Carlo Strenger pense que la vérité gît entre les deux, voire dans cette tension dialectique, et rappelle que le bonheur s’apparente au flux. Un flux qui, tel un contre-courant à la vague matérialiste, serait engendré par les forces de l’esprit. Sean J. Rose