A une autre époque de son existence, Jack Wolf a été une femme et a eu deux enfants, avant de comprendre qu’il se sentait plus homme et d’entreprendre, il y a maintenant trois ans, un long et difficile processus pour le devenir, tout en s’affirmant comme l’un des romanciers d’aujourd’hui les plus prometteurs. Un prosateur, aussi audacieux que talentueux, qui entre dans la cour des grands avec Misericordia.

Ce premier roman vénéneux et fascinant s’attache aux pas de Tristan Hart. Le héros de Wolf est d’abord un petit garçon renfermé et timide qui grandit dans le Berkeshire au XVIIIe siècle. Son châtelain de père l’élève seul suite au décès de sa mère. Une mère juive, néerlandaise de naissance et espagnole d’éducation. Ce qui explique le teint basané et les cheveux noirs de Tristan.

Comment, en revanche, expliquer les étranges visions qui l’assaillent et lui font perdre la raison ? Peu à peu, le jeune homme comprend qu’il veut pratiquer « le noble Art de la Recherche scientifique sur les Processus vitaux ». Et part pour cela à Londres. Où il ne tarde pas à découvrir qu’il aime infliger la souffrance et trouve que la douleur, peut-être, est belle…

Le personnage étonnant que l’on rencontre au Bridge Cafe de Clifton, le quartier chic de Bristol, porte un long manteau, une chemise et des cheveux noirs, des boucles d’oreilles et une barbichette. Il est installé à une demi-heure de route de là, dans un village « ennuyeux » en pleine campagne.

The Tales of Raw Head and Bloody Bones a été rebaptisé Misericordia en français, ce qui prend tout son sens à la fin du livre. Le volume est paru en Angleterre en janvier dernier chez Chatto & Windus. L’éminente maison fait partie de Random House et publie Toni Morrison, Jonathan Littell ou Amos Oz. Dans une presse locale unanime, du TLS au Guardian, le coup d’essai de Wolf a été comparé au Parfum de Patrick Süskind et à American psycho de Bret Easton Ellis.

Avant Misericordia, le débutant avait terminé un manuscrit « épouvantable » qui se situait déjà au XVIIIe siècle, époque dont il prise l’énergie. Ecrire, il l’a toujours fait. Dès l’âge de 6 ans où il a couché sur le papier les huit pages de « Not the Rosebud » ! Une période où il dévorait les histoires de Frances Hodgson Burnett et de Lewis Carroll, et où il habitait dans un village près de Bath. Sans père, mais avec une mère au foyer, un beau-père qu’il exécrait et trois frères. Très mauvais élève, il lui arrivait de noircir des pages pendant les cours de mathématiques. Adolescent, il s’est ensuite mis à dévorer des romans de science-fiction et de fantasy. A rêver lui aussi d’inventer un monde.

Fan de Laclos.

Le cycle de creative writing de l’université de Bath lui a offert le meilleur environnement possible, lui a appris l’importance des voix narratives et lui a ouvert les portes du monde de l’édition. Il avait déjà terminé un tiers de Misericordia quand il a été repéré par la branche anglaise de l’agence littéraire Janklow & Nesbit Ltd. Parmi ses influences littéraires, il cite Frankenstein de Mary Shelley, Dune de Frank Herbert, Neil Gaiman, Angela Carter ou Jeanette Winterson. Jack Wolf explique qu’il écrit à la main puis tape à l’ordinateur en corrigeant. Avec en fond sonore une musique qu’il peut oublier, de Police à Duran Duran. Il lui arrive aussi d’écouter de la musique quand il réfléchit. De mettre notamment le groupe de heavy metal symphonique Nightwish à plein volume.

Misericordia, il l’a imaginé comme un « conte pour adultes », comme une « histoire d’amour », reconnaissant volontiers que l’amour peut être quelque chose de « douloureux ». Dès le départ, il savait qu’il voulait mettre en scène un héros qui souffre, sans jamais en faire un schizophrène. Le matin, Jack Wolf se lève, conduit son fils cadet à l’école, retrouve ses esprits et planche six ou sept heures de rang sur un nouveau livre dont le titre de travail est Rainbow. Il en est déjà au milieu mais ne pense pas le voir imprimé avant deux ans.

Afin d’améliorer son français, ce fan des Liaisons dangereuses de Laclos lit Le Monde. Chaque jour qui passe, il dit se sentir de mieux en mieux. Apprivoiser un peu plus une vie qu’il a voulue et pour laquelle il continue de se battre.

Alexandre Fillon

Misericordia, Jack Wolf, traduit de l’anglais par Georges-Michel Sarotte, Belfond, 22 euros, 449 p., ISBN : 978-2-7144-5190-3. Sortie : 4 avril.

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