C'est de l'histoire et ça n'en est pas. Eric Vuillard nous parle d'histoire, mais il n'est pas historien. D'ailleurs, il le dit. "Je me trompe peut-être, et je m'en fous." En revanche, il sait bien en parler. Avec ce qu'il faut de référence et cette qualité qui vous fait entrer dans un univers. On appelle cela le style. Et il sait s'en servir !
Le bref récit Congo nous rappelle comment l'Occident s'est réuni périodiquement à Berlin, entre 1884 et 1885, pour permettre au roi Léopold II de s'acheter un fleuve, une forêt et toutes les âmes qui vont avec, un territoire grand comme huit fois la Belgique, qui devint sa propriété personnelle sous le nom de Congo. "On n'avait jamais vu tant d'Etats essayer de se mettre d'accord sur une mauvaise action."
Vuillard nous raconte tout cela avec une écriture au cordeau, une ambiance à la Conrad : des diplomates élégants qui pensent à leurs jardins, des aventuriers géographes qui se prennent pour des dieux et des administrateurs qui deviennent fous comme ce Fiévez qui ordonne qu'on coupe les mains des Noirs exécutés pour avoir été trop lents à récolter le caoutchouc...
La bataille d'Occident examine une autre catastrophe. Elle commence avec l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand par Gavrilo Princip. C'est du moins le prétexte à enflammer cet Occident qui rêve d'en découdre avec lui-même.
Surgissent alors les grosses Bertha, les 27 000 morts du 22 août 1914, les taxis de la Marne, le chemin des Dames, les zeppelins, la bataille de la Somme et ses 30 000 morts durant les six premières minutes, les gueules cassées qui portent sur leurs figures la violence des hommes, et cette recherche inassouvie de l'ennemi invisible sur qui fait peser la responsabilité d'un désastre qui n'est qu'une répétition pour une pièce à venir, plus cruelle encore.
Ce n'est pas l'art, mais le désastre de la guerre. "Ce fut un meurtre prémédité à l'échelle d'un continent, gigantesque jeu où chacun fabule son crime sur celui de l'autre." Eric Vuillard réussit la prouesse de faire tenir 14-18 en moins de deux cents pages, non pas toute la Grande Guerre, mais son esprit. Ecrivain - il a déjà publié quatre romans chez Léo Scheer, dont Conquistadors - et cinéaste, il possède une belle énergie. Ce serait dommage de passer à côté.