Tout est toujours parfaitement réussi dans les livres de Christian Oster : l'ambiance, l'histoire, les situations, les personnages et l'écriture. Après une quinzaine de titres parus aux éditions de Minuit, l'auteur de Mon grand appartement (1999, prix Médicis, disponible dans la collection "Double") et d'Une femme de ménage (2011) a désormais posé ses bagages aux éditions de l'Olivier. Où il a débarqué en fanfare avec Rouler (2011, repris en Points), road novel étrange dont le héros file vers le Sud en voiture, et où il revient avec En ville.
On fera ici connaissance avec une bande d'amis qui se voient peu mais partent en vacances ensemble, à Malte ou en Corse. Pour l'heure, plutôt que la Toscane, ils songent à se rendre à Hydra qui est "une île avec un port du même nom et où on ne se déplace qu'à pied ou sur des ânes". Tout le monde se retrouve un soir pour dîner et en parler chez Paul, médecin intelligent mais difficile à cerner, et Louise, qui restaure des meubles mais n'aime pas ça, dans leur appartement spacieux avec une grande cuisine.
Présentons d'abord Georges, venu avec un gâteau mais sans Christine, puisqu'ils se sont séparés. Un homme enjoué, séducteur, hyperactif, qui travaille dans un journal financier et s'intéresse aux cailloux. William, lui, est un peu plus âgé que les autres. Connaissance de longue date de Paul, deux fois veuf, il a été dentiste, peintre et chanteur "à l'époque des quarante-cinq tours". William a grossi, respire mal et ne pratique aucun sport.
Enfin, il y a le narrateur. Jean, 59 ans, personnage assez flou, qui possède le même prénom que le protagoniste de Rouler bien qu'il s'agisse manifestement d'un autre Jean. "J'avais plusieurs vies derrière moi qui s'étaient défaites. Je n'avais gardé aucun lien avec elles et mes meilleurs amis étaient partis ou morts", confie-t-il. Voici quelqu'un qui croit beaucoup "à la distraction, à la lecture, au cinéma", ne supporte pas Joe Dassin, recherche la simplicité et a eu un "oncle de Brive" ayant fait fortune dans la "botte en caoutchoucbasse".
Jean a des responsabilités éditoriales dans une grosse maison où il publie des textes de vulgarisation scientifique. Il lui arrive d'ouvrir la porte du rez-de-chaussée sombre qu'il habite à Agnès Demantelbeau. Une femme avec laquelle il ne couche pas, qu'il a rencontrée des années plus tôt sur une plage de Bretagne. Un jour où elle était nue et lui a demandé du feu. En revanche, Jean a bien une liaison avec l'une de ses collègues, Roberta Giraud, blonde insaisissable qui lui apprend qu'elle est enceinte...
Au sommet de sa forme, Christian Oster distille une mélancolie toujours en suspension dans un roman qui se révèle l'un de ses plus accomplis et de ses plus envoûtants. En savourant En ville, les inconditionnels d'Oster découvriront une rupture, un décès, un déménagement vers l'avenue de Versailles, dans un loft, et d'autres surprises encore. Ils auront surtout du mal à ne pas succomber au charme et au mystère d'un Jean bien conscient que sa vie lui échappe.