Présentés par le ministère de la Culture lundi 15 décembre, les résultats 2023-2024 de la part collective du pass Culture illustrent un tournant dans les usages : après une phase de montée en puissance progressive, le dispositif s’est généralisé dans les collèges et les lycées, avec une hausse significative des dépenses. Reste à savoir si cette dynamique a su se maintenir dans un contexte de contraintes budgétaires accrues, la part collective ayant été gelée entre janvier et juin 2025, et si celle-ci pourra se poursuivre alors que le ministère de l'Éducation nationale envisage de défendre un budget à la baisse, pour le projet de loi de finances 2026.
Pour rappel, depuis janvier 2022, une part du crédit individuel du pass Culture, la part collective, est fléchée vers les établissements scolaires, de la sixième au lycée, afin de financer des actions d’éducation artistique et culturelle (EAC). Cette dernière est conditionnée à l’utilisation de la plateforme Adage, qui recense les projets portés par les équipes éducatives.
Une généralisation des usages
D’après le document, la quasi-totalité des établissements a désormais franchi le pas sur l’année 2023-2024. Ainsi, 98 % des collèges et 95 % des lycées ont recouru à la part collective pour financer au moins une action d’éducation artistique et culturelle, contre respectivement 86 % et 89 % l’année précédente. En moyenne, chaque collège a financé 10 activités, contre 17 dans les lycées.
Cette généralisation s’observe aussi bien dans le public que dans le privé, même si les établissements publics recourent légèrement plus au dispositif et engagent des niveaux de dépenses supérieurs. Dans les collèges, le taux de recours frôle les 100 % dans le public, contre 92 % dans le privé, avec un différentiel de dépenses d’environ quatre points.
Les grands établissements (plus de 500 élèves) utilisent plus systématiquement la part collective, tandis que les plus petits affichent des comportements plus contrastés : un quart des collèges de moins de 300 élèves dépensent moins de 44 % de leur enveloppe, quand un autre quart dépasse 96 %. D’ailleurs, la présence d’un référent culture, nommés par l’établissement, semble avoir un impact positif, dans les collèges du moins, sur le niveau de dépense engagé, avec sept points de plus par rapport aux établissements qui n’en disposent pas.
Des disparités territoriales
Du côté des collèges, si 16 régions affichent des taux de recours supérieurs à 95 %, la Bretagne et Mayotte ont même enregistré des taux de 100 %, des disparités territoriales ont néanmoins été observées en matière de consommation des budgets.
Les collèges de Bretagne, de La Réunion, de Mayotte et de Nouvelle-Aquitaine ont ainsi dépensé plus de 70 % de leur enveloppe, quand ceux d’Île-de-France, de Normandie, du Centre-Val de Loire ou de Provence-Alpes-Côte d’Azur sont restés sous la barre des 60 %. La Corse, particulièrement, s’est distinguée par un double décrochage avec un taux de recours de 81 %, et un niveau de dépense de 42 %.
Dans les lycées, la tendance est comparable : les établissements publics, de grande taille et polyvalents dépensent davantage que les lycées privés, plus petits ou strictement professionnels. Là encore, la présence d’un référent culturel se traduit par un surcroît de dépenses, de l’ordre de sept points.
Le livre à la traîne
S’agissant du volume d’activités d’éducation artistique et culturelle (EAC) dans le second degré, le dispositif a soutenu financièrement 140 000 actions sur les 250 000 réalisées. Dans le détail, les projets à l’initiative des établissements dominent largement, représentant plus de 80 % des actions déclarées (sorties culturelles, visites ou actions de sensibilisation artistique ou scientifique).
Quant aux projets intégrant pleinement les trois piliers de l’EAC (rencontre avec les œuvres et les artistes, pratique artistique ou scientifique, acquisition des connaissances), ceux-ci restent minoritaires : 7 % au collège et 5 % au lycée, en net recul par rapport à 2022-2023.
Sur le plan des domaines d’activité, le théâtre s’impose comme le premier bénéficiaire (environ 30 % des activités), devant le cinéma et l’audiovisuel. L’univers du livre, de la lecture et des écritures est plus marginal, représentant 9 % des projets au collège et seulement 6 % au lycée, loin derrière le spectacle vivant, le patrimoine ou les arts visuels.
Des niveaux de dépenses en hausse
En 2023-2024, les montants alloués par élève étaient de 25 euros pour les collégiens, de 30 euros pour les élèves de seconde et de CAP, et de 20 euros pour les élèves de première et de terminale. L’enveloppe globale a ainsi atteint 51 millions d’euros, intégralement consommés, alors que la première dotation, d’un montant de 45 millions d’euros en 2022, n’avait été consommée qu’à hauteur d’environ 18 millions d’euros, soit moins de la moitié.
Le budget moyen par activité a également légèrement progressé : 650 euros au collège et 575 euros au lycée. Dans les deux cas, la moitié des actions coûtent moins de 400 euros, mais un quart dépasse les 800 euros au collège et les 640 euros au lycée.
Les écarts tiennent davantage à la nature des activités, certaines pratiques artistiques étant plus onéreuses que d’autres, qu’à la taille des établissements ou à la présence de partenariats culturels. En moyenne, le budget alloué a été dépensé à hauteur de 63 % dans les collèges et à hauteur de 66 % dans les lycées, pour une dépense moyenne par élève de 14 euros au collège et de 17 euros au lycée.
Une dynamique sous pression budgétaire
Globalement positive, cette dynamique pourrait néanmoins s’être heurtée à la décision, fin janvier 2025, du gel de la part collective du pass Culture, en raison d’une conjoncture budgétaire défavorable. Le budget du dispositif avait ainsi été plafonné à 40 millions d’euros pour la fin de l’année scolaire, alors que 90 millions avaient été initialement prévus.
Inattendue, cette annonce avait alors vivement inquiété les acteurs de l’éducation et du secteur culturel. Notamment les artistes-auteurs, particulièrement dépendants des interventions en milieu scolaire. À l’époque, le ministère de l'Éducation nationale avait également prévenu que seuls 22 millions d’euros seraient disponibles pour la période allant de septembre à décembre 2025.
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Depuis, un décret du Premier ministre, suivi d’un arrêté interministériel, publié le 12 décembre dernier au Journal officiel, a modifié le cadre réglementaire du dispositif. Rappelant d’abord que la part collective du pass Culture vise « une sensibilisation progressive et accompagnée des élèves éligibles par leurs professeurs à la diversité des pratiques artistiques et culturelles », le texte a ensuite redéfini les trois piliers de l’EAC. Laquelle doit désormais s’articuler autour de la rencontre avec les œuvres, les artistes et les lieux culturels, autour de la pratique artistique et scientifique, et autour de l’acquisition des connaissances et du développement de l’esprit critique.
Le décret a également modifié l’article 4, amenant ainsi à la suppression de la règle de répartition des crédits « au prorata du nombre d’élèves scolarisés dans chaque niveau d’enseignement ». Désormais, la ventilation des enveloppes relèvera d’une simple instruction, sans plus de précision à ce stade.
Autre évolution majeure : les crédits de la part collective, bien que votés dans le cadre des lois de finances, seront désormais valables « au titre de l’année en cours », et non plus sur l’année civile. Une mesure destinée à éviter les gels budgétaires. Ces nouvelles dispositions s’appliquent dès l’année scolaire 2025-2026. Pour autant, la trajectoire financière reste orientée à la baisse : le budget inscrit au projet de loi de finances pour 2026 s’élève à 61,8 millions d’euros, contre 72 millions en 2025.
