Comme toujours chez Michel Foucault (1926-1984), il s’agit d’une plongée assez vertigineuse dans les textes, quelquefois les plus inattendus. L’archéologue du savoir exhume, avec la gourmandise du connaisseur, un corpus de traités anciens autour des règles de la conduite sexuelle ou de l’abstinence.
Présenté comme le quatrième et dernier volume de son Histoire de la sexualité qui comprend La volonté de savoir (1976) L’usage des plaisirs (1984) et Le souci de soi (1984), Les aveux de la chair est en réalité le premier dans la démarche du philosophe. Cet inédit, retrouvé parmi les 40 000 feuillets des archives Foucault déposées à la BNF, permet de saisir au mieux son approche biopolitique de la sexualité.
Dans cette édition impeccablement établie et introduite par Frédéric Gros, Michel Foucault s’attache aux doctrines élaborées entre le IIe et le IVe siècle par les grands auteurs chrétiens, eux-mêmes héritiers des penseurs grecs et latins. Clément d’Alexandrie, Tertullien, Cassien ou saint Augustin sont convoqués à la barre des témoins, comme détenteurs subtils de la bonne moralité. On y évoque les formes prises à partir du IIe siècle par la pénitence "canonique", c’est-à-dire "les recours rituels aménagés sous l’autorité des églises pour ceux qui ont commis des péchés graves et dont le pardon ne saurait être obtenu par le seul repentir et leurs seules prières". Chez les chrétiens d’Orient, le statut de la virginité des femmes est prégnant. Pour des auteurs comme Basile d’Ancyre, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Eusèbe d’Emèse ou Evagre le Pontique, c’est la seule chose qui ne puisse être imitée, même par le diable. En cela, la virginité est considérée comme supérieure au mariage.
Tous ces écrits présentés et discutés avec rigueur par Foucault installent une éthique de la sexualité destinée à éviter que l’âme ne bascule vers l’enfer. La pureté de l’âme ne peut être dissociée de celle du corps. La tentation, et encore plus le fait d’y céder, est donc bannie. Ces recommandations antiques ont durablement façonné la sexualité chrétienne durant les siècles, quelquefois même jusqu’à aujourd’hui chez les puritains. Dans ce volume auquel Michel Foucault n’aurait sans doute rien ajouté, l’auteur des Mots et les choses avance dans sa démarche biopolitique, cette forme d’exercice du pouvoir qui porte sur les individus. "D’un mot, on peut dire que l’acte sexuel dans le monde antique est pensé comme "bloc paroxystique"", unité convulsionnelle où l’individu s’abîmait dans le plaisir du rapport à l’autre, au point de mimer la mort. Dans ce quatrième volume, Foucault replace ce bloc "dans une économie générale des plaisirs et des forces" et montre comment le christianisme en a tiré une doctrine des désirs pour mieux les contrôler. Une doctrine qui suggère d’être économe de son désir. Avec cet ultime volet, l’Histoire de la sexualité, désormais achevée, apparaît donc bien dans son intégralité comme une œuvre majeure dans la pensée de Michel Foucault. L. L.