Le Tribunal de grande instance de Paris a rendu une importante décision, le 6 septembre 2018, dans une affaire opposant les enfants de Maurice Nadeau aux personnes qui ont voulu lancer La Nouvelle Quinzaine littéraire.
Je dois prévenir d’emblée les lecteurs de Livres Hebdo que je ne vais pas commenter tous les enjeux de ce procès, dans la mesure où je plaidais pour Gilles et Claire Nadeau, mais commenter les très intéressants attendus portant sur le seul problème du droit de citation, la décision n’ayant pas pour l’heure suscité de recours.
Le tribunal rappelle d’abord que les héritiers de Maurice Nadeau ont estimé que « la citation de Maurice Nadeau « L’œuvre vaut toujours plus que le bien, ou le mal, qu’on dira d’elle », insérée sous le titre La nouvelle Quinzaine Littéraire, est reproduite en intégralité et n’est pas utilisée dans un contexte pédagogique ou d’information de sorte qu’elle échappe à l’exception de courte citation et constitue une contrefaçon de leurs droits d’auteur. Ils ajoutent que le droit moral attaché à l’œuvre de Maurice Nadeau est également atteint en raison de l’association de son nom avec un journal qui ne respecte plus l’esprit de son fondateur ».
Les juges soulignent ensuite que « selon l’article L122-5a du Code de la Propriété intellectuelle, lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées. »
But commercial
Mais ils relèvent que, « en l’espèce, la récurrence de l’emploi de cette phrase en sous-titre d’une revue qui, même consacrée à la littérature, demeure un bien commercial exclut que cet usage soit couvert par l’exception de courte citation, cette phrase n’étant aucunement employée dans un contexte pédagogique ou informatif, mais uniquement dans un but commercial pour mettre en valeur l’héritage du fondateur de la revue. »
Le tribunal en conclut que « cette reproduction non autorisée porte atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur dont sont titulaires monsieur Gilles Nadeau et madame Claire Nadeau en leur qualité d’héritiers de Maurice Nadeau » et condamnent en conséquence.
Il juge aussi que « les demandes au titre de la violation du droit moral attaché à l’œuvre de Maurice Nadeau seront en revanche rejetées, la citation étant bien créditée du nom de son auteur et l’appréciation subjective portée en défense relative à la non-conformité de la revue La Nouvelle Quinzaine littéraire avec « l’esprit de Maurice Nadeau » ne pouvant caractériser une atteinte au respect de l’œuvre opposée ».
C'est la longueur qui compte
En sus d’un but non commercial, les éditeurs doivent également garder à l’esprit que, aux termes du Code de la propriété intellectuelle, la citation doit être « courte ».
Cette brièveté s’apprécie non seulement par rapport à l’œuvre de départ (il ne faut pas reproduire une part trop importante de l’œuvre citée) mais aussi par rapport à l’œuvre d’arrivée (il n’est pas possible de ne constituer son ouvrage que de citations). C’est ainsi qu’une trentaine de citations rassemblées dans une plaquette seront considérées comme une contrefaçon, alors que les mêmes citations intégrées à une étude de deux cents pages bénéficieront de l’exception légale. Le critère dominant reste celui de la concurrence entre l’œuvre qui cite et l’œuvre citée. La première ne doit en aucun cas pouvoir se substituer à la seconde. Il n’est donc pas possible, par exemple, de citer deux vers complets d’un haïku ou, a fortiori, de faire un haïku de trois lignes extraites d’un roman. Et il n’existe pas de barème précis permettant de déterminer à coup sûr ce qui relève du droit de citation et ce qui appartient à la contrefaçon.
L’exception de citation nécessite de remplir une autre condition, d’ailleurs sous-jacente dans la loi puisqu’il s’agit du respect du droit moral de l’auteur. Lorsqu’on utilise une citation, il est en effet nécessaire de respecter l’esprit de l’œuvre dont elle est tirée, mais également sa forme, etc. Il est bien évident que seules les véritables dénaturations sont répréhensibles, c’est-à-dire celles qui ont tendance à donner une vision fausse de l’œuvre citée. De même, le citateur ne doit pas oublier de mentionner sa source – il s’agit là expressément d’une obligation légale, qui découle par surcroît du droit au respect au nom de l’auteur de l’œuvre citée. Cette règle s’applique également au nom du traducteur.
Enfin, il est théoriquement interdit de citer un document inédit sans autorisation, puisque le droit de divulgation appartient à l’auteur ou, en cas de décès, au titulaire des droits moraux. C’est là une règle fort peu respectée en pratique, et les auteurs profitent souvent du caractère inédit du document pour en citer une longueur relativement démesurée, qu’ils font passer pour de très courts fragments aux yeux des titulaires des droits moraux. De même, il ne faut pas croire que l’auteur qui fait circuler quelques exemplaires de son texte entend véritablement le divulguer.