De livre en livre, Karine Reysset a imposé un univers littéraire où les émotions ont une large place. Trois ans après Les yeux au ciel (L’Olivier, repris en Points), un portrait de famille, la voici qui débarque chez Flammarion avec son roman le plus ambitieux et le plus abouti à ce jour, L’ombre de nous-mêmes.
Les voix se croisent, les destins aussi. La première à prendre la parole et la plume, Alma, a été condamnée à une peine de quatre ans ferme pour un délit dont on ignore d’abord tout. Après un séjour à la prison des femmes de Rennes, l’ancienne professeure d’espagnol est maintenant incarcérée à Fleury-Mérogis avec son nouveau-né, Anton. Alma s’adresse à son enfant et au père de celui-ci.
Samuel, qui sous ses airs doux pouvait mordre, elle le connaît depuis le lycée à Montgeron. Le musicien est peu à peu devenu sa vocation, sa priorité, avant le clash. En plus d’Anton, il a aussi une fille, Sarah, la deuxième protagoniste de L’ombre de nous-mêmes. Une adolescente de 14 ans qui rend visite à sa génitrice tous les quinze jours à la "ville fleurie", expression qu’elle préfère à "Fleury-Mérogis". Sarah tient son journal en vidéo, se grime devant sa webcam, confesse qu’elle se sent anormale, avec une vie et une famille hors-normes.
Enfin, on croisera ici Lucinda qui est née et a grandi dans une ferme en Argentine. Enfant, elle était une brindille avec des airs de garçon manqué qui s’amusait avec sa cousine Gloria. Désormais, la jeune femme, mère d’une petite Abril, séjourne elle aussi à Fleury-Mérogis où elle s’est liée d’amitié avec Alma…
L’auteure de Comme une mère (L’Olivier, 2008, repris en Points) montre qu’elle est en pleine possession de ses moyens. Généreux, romanesque et fluide, L’ombre de nous-mêmes reprend les thèmes chers à Karine Reysset qui les développe encore à l’aide d’une construction très travaillée. En laissant sous sa plume la part belle à l’émotion. A un questionnement sur l’identité, le rapport aux autres et au monde. Al. F.