C’est une littéraire qui aime les chiffres. Une polyvalence essentielle pour mesurer l’impact social des bibliothèques, ou interpréter des statistiques, comme Cécile Touitou le raconte dans Compter pour raconter (Presses de l’Enssib), l’un des nombreux ouvrages qu’elle a écrits et/ou coordonnés pour améliorer le monde des bibliothèques.
En pointant par exemple le cas du Royaume-Uni, où des politiques ont justifié la fermeture de bibliothèques en retenant seulement la baisse des chiffres d’emprunt de documents, ignorant ceux révélant les bienfaits sociaux de ces lieux de formation et d’épanouissement créatif. « Réduction des inégalités, réussite de ses études… Les bienfaits des bibliothèques sont difficiles à décrire, ce sont des effets non quantitatifs ni immédiats. C’est un travail à moyen et long termes », explique celle qui voyait à ses débuts surtout la technicité de son métier (le catalogage…). « Mais de plus en plus, on réfléchit à notre rôle dans le bien-être des usagers. »
Montréal et San Francisco
Avec un bac scientifique complété d’une prépa littéraire et d’une maîtrise en information et documentation (« option base de données »), Cécile Touitou démarre sa carrière en centres de documentation centrés sur l’urbanisme, la formation, l’environnement ; à Paris, à Montréal. « C’était le début des sites web, en 1995, on rédigeait des dossiers documentaires, on était un peu webmasters », décrit-elle. Quand Google explose, la voilà partie à San Francisco, documentaliste dans un riche lycée franco-américain, pour former les étudiants à Internet.
À son retour en France, elle embrasse le métier de consultante, missionnée par des bibliothèques publiques pour analyser leur territoire, leurs données, réaliser des entretiens pour améliorer leurs services. Et après presque dix ans en déplacements, elle s'installe à la Bibliothèque nationale de France, toujours afin d’étudier ses publics et la pertinence des services proposés.
Protéger notre humanité
Devenue responsable de la mission marketing de la bibliothèque de Sciences Po, elle affine et transmet son savoir à l’ADBU et à l’Afnor, où elle préside la commission chargée des normes sur les statistiques et évaluations des résultats dans le domaine de la documentation et des bibliothèques. Et recueille les alertes de collègues signalant des diminutions de budgets ou réduction des libertés. « Je trouve une forte solidarité entre les professionnels du monde entier. De nombreux partages de pratiques. Au Royaume-Uni, au Québec, aux États-Unis, on se retrouve dans une grande famille avec les mêmes problématiques centrées sur l’usager. Et la grande leçon commune : une bibliothèque ne peut rien faire toute seule, doit être à l’écoute de ses usagers et forte de partenariats institutionnels et associatifs ».
Concrètement : « Établir des diagnostics plus larges avec des sociologues, des urbanistes, qui ont l’expérience de l’analyse de la façon dont vit tout un territoire. La manière dont, par exemple, la suppression d’un jardin public impacte le bien-être des habitants. » Elle ajoutera : « Quand on détricote les services publics, une part de notre humanité - le plaisir à se ressourcer dans les espaces verts, les sports, les livres, les spectacles - se perd ». Aux bibliothécaires de sanctuariser et de raviver ces besoins essentiels.