Commencé il y a six ans avec le premier volume de Moi René Tardi, prisonnier de guerre au stalag II B (1), le récit tiré par Jacques Tardi des carnets de son père, engagé volontaire en 1935, se termine avec son troisième volume. Le dessinateur avait raconté, dans le pas d'un René Tardi irrité et amer, la débandade de l'armée française pendant la courte guerre de 1940, et sa captivité en Pologne. Il a mis en scène son retour épique, essentiellement à pied, à travers l'Europe, dans les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale. Cette fois, Tardi se situe « après la guerre », lorsque son père, rentré à Saint-Marcel-lès-Valence (Drôme) passablement déprimé, est sujet à de violents cauchemars.
Le dessinateur porte un regard acide sur les périodes de l'Occupation et de la Libération : l'implication de la police française dans la déportation des juifs, les résistants de la dernière heure, la violence gratuite contre les femmes accusées de « collaboration horizontale », tondues publiquement jusqu'en 1948. Dense, plongeant ses racines à la fin de la Première Guerre mondiale, son ouvrage documentaire, politique et familial brosse un vaste tableau de l'époque. Il fait émerger sa parentèle - grand-père paternel né en Corse, cordonnier puis facteur au pied du mont Ventoux ; grand-mère « dame de la poste », « austère et économe ». Et aussi celle de sa compagne, Dominique Grange, chanteuse emblématique du mouvement de mai 1968, qui apparaît toute petite dans les rues de Lyon en 1943 et chez ses grands-parents à Vassieux, tout près.
Jacques Tardi, lui, naît le 30 août 1946 et, à partir de la page 56, la biographie de son père bascule peu à peu dans une passionnante autobiographie où l'auteur, toujours très pudique, se livre comme jamais. Il grandit entre son père qui, en octobre 1946, faute de mieux, s'est réengagé dans l'armée, et une mère qui ne cessera de reprocher à son fils sa naissance au forceps qui avait « tout déchiré sur son passage », l'obligeant à des opérations chirurgicales jusqu'à plusieurs années plus tard.
Sa passion pour les locomotives à vapeur ? Elle remonte à ses virées à la gare, le dimanche avec son père. Tous deux regardaient passer les trains sous une passerelle métallique. Au retour, René aidait Jacques à les dessiner. Et jour après jour, comme et peu à peu bien plus que les autres enfants, ce dernier continue de dessiner, en France puis en Allemagne où son père est affecté à partir de février 1951. Tardi raconte les petits Allemands des kindergärten, la scarlatine, les avions en papier ornés de croix gammées qu'il jetait au-dessus de la rue, les maisons ruinées par les bombardements américains, le Mardi gras, les parties de luge, les courses à la charcuterie, le chien d'un passant qui faillit être tué sous un bus, le cirque Grock, l'école où, sauf en dessin, il s'installe dans la position du cancre.
Au retour en France, en 1952, à cause de ses douleurs, sa mère confie Tardi à ses grands-parents paternels, à Valence, pendant deux ans. Une période clé. Le futur dessinateur découvre avec son grand-père les horreurs de la guerre de 14-18, qui hantera toute son œuvre, et les joies du jardinage, et avec sa grand-mère les petites choses de la vie. Surtout, il découvre la bande dessinée grâce au sapeur Camember, aux Pieds Nickelés, à Zig et Puce ou Bibi Fricotin. Il dévore les « illustrés » de l'époque, Fulgor, Météor ou Tarou, avant le Journal de Tintin, que sa grand-mère lui achète tous les jeudis, et le Marsupilami. Une vocation est née.
(1) Voir « Un loulou en Poméranie »,
LH 929, du 9.11.2012, p. 52.
Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B, T.3, Après la guerre
Casterman
Tirage: 100 000 ex.
Prix: 25 euros ; 160 p. en coul.
ISBN: 9782203097247