"J’ai été membre actif du peuple des enfants, adolescent vaseux (mais courant vite et longtemps !), gendarme mobile, CRS avec la spécialité de maître nageur-sauveteur et puis officier de police, encore en ce moment où j’écris ces lignes". Poète et commissaire de police, zèbre de 53 ans aux drôles de rayures, Joël Baqué livre dans La mer c’est rien du tout son troisième livre chez P.O.L après Aire du mouton (2011) et La salle (2015), son "je me souviens", délicatement mélancolique, plein d’un humour modeste et doux.
On est dans un village de l’Hérault, près de Béziers, dans les années 1970. Le père est exploitant viticole "bien plus fort en vigne qu’en relations humaines", euphémise son fils. La mère, silencieuse, avale des cachets "fervessants". Valérie, la grande sœur est d’une beauté miraculeuse. Paul, le petit frère, bégaie. Joël, lui, c’est le sportif de la famille, son truc c’est la course à pied. Les souvenirs remontent ainsi le temps par la petite porte : la feria du mois d’août, le rugby, l’odeur du vernis à ongles et les "jambes de héron" de Valérie, la crédulité de Paul qui deviendra facteur et aimera les garçons. L’écrivain fait entendre des bribes de langues perdues. Dans le glossaire paternel, les "bouillacades" désignent ce qu’il n’aime pas, ne comprend pas. A peu près tout. Chez les enfants de "la maison en quérons", on prétend pour rire pouvoir attraper le tétanos en se lavant les cheveux. Et en mourir.
Ces temps les plus anciens sont aussi ceux où "on employait jamais de mots pour le seul plaisir de les dire". "La poésie non poétique" arrivera par la plage sous la forme d’un livre de Francis Ponge donné au secouriste et futur écrivain par un vacancier. Grâce à elle, la beauté de Valérie est éternelle. V. R.