Le comte Pierre de Polignac (1895-1921) fait partie de ces jeunes et séduisants aristocrates dont Marcel Proust, grand amateur de mondanités, était raffolé, voire même, de certains, épris. En vain le plus souvent. D’aucuns, comme Robert de Montesquiou, demeurèrent ses amis pour la vie, leur respect pour son génie et ses qualités humaines leur permettant de passer outre à ses défauts : Proust était d’une maniaquerie, d’une jalousie, d’une complexité pathologiques. Etre de ses amis signifiait être l’objet de serments de fidélité autant que de reproches, de rendez-vous improbables, de lettres, de télégrammes, voire de "téléphonages". Un esclavage que le jeune Polignac, quoique diplomate, a eu, apparemment, du mal à supporter. Surtout une fois qu’il fut devenu, par mariage avec Charlotte, la fille du prince Louis II de Monaco, duc de Valentinois puis, à son tour, prince de Monaco.
On a retrouvé, dans les archives du palais princier, cinq lettres adressées par Proust à Son Altesse Sérénissime, à qui il donne du "Cher Ami", non datées mais datables, par les spécialistes, de l’année 1920. Au début, l’écrivain y déploie tout son charme, tentant de s’instituer, à défaut de plus, le Pygmalion littéraire du jeune homme, apparemment tenté par la littérature. Il y renoncera, se contentant d’en devenir un mécène. A Monaco, une Fondation porte son nom, qui décerne chaque année, entre autres, un prix littéraire prestigieux. Mais bien vite le "mauvais caractère" de Proust, comme il dit lui-même, prend le dessus. Reproches de rendez-vous manqués, et, surtout, harcèlement financier : la NRF, afin d’aider l’écrivain en position financière délicate, avait publié une édition de luxe "réimposée" d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs, limitée à 50 exemplaires vendus 300 francs l’un. Une somme rondelette pour l’époque. Et Proust tentait par tous les moyens d’en placer auprès de ses amis fortunés, lourdement. Sollicité plusieurs fois, Polignac a d’abord éludé, puis rompu. Sèchement, le 21 octobre 1920, par une carte attristée : "Rassurez-vous, mon cher Ami, j’ai reçu toutes vos dernières lettres, et j’en ai beaucoup de regret. Veuillez y trouver l’assurance du souvenir fidèle que je vais conserver de vous. Pierre". Proust, qui ne laissait rien perdre, fera du prince le modèle partiel du grand-duc héritier de Luxembourg, ex-comte de Nassau, dans A larecherche du temps perdu.
Côté bibliophilie, il aurait été ravi de la publication remarquable par son éditeur, en fac-similé, des premières épreuves d’Un amour de Swann, corrigées de sa main en 1913, avec moult rajouts et paperolles, d’où une transcription indispensable. Cette fois, la souscription ne devrait poser aucun problème. J.-C. P.