A l'origine, l'idée de Naissance d'un vieux prêtre revient à Jean Malaurie, l'illustre fondateur de la collection "Terre humaine" chez Plon. Lequel espérait peut-être réitérer, avec Maurice Gruau, le coup du Horsain de Bernard Alexandre, récit de la vie d'un curé dans le pays de Caux qui fut, en 1988, un best-seller considérable. «Malaurie, raconte le père Gruau, je l'avais rencontré lors de l'hommage à Jacques Lacarrière, qui était un ami cher. Mais, quand je lui ai remis mon texte, il s'est sauvé en courant ! Il voulait sans doute quelque chose de plus traditionnel." Moins traditionnel que lui, en effet, serait difficile à trouver. Finalement, c'est Pascal Dibie, qu'il connaît depuis son enfance, dans l'Yonne, et qui avait déjà publié de lui, en 1999, dans sa collection "Traversées" chez Métailié, L'homme rituel : anthropologie du rituel catholique français, qui a récupéré le manuscrit et le fait paraître aujourd'hui.

Maurice Gruau y raconte son itinéraire singulier. Il laisse aussi libre cours à sa plume alerte pour des anecdotes signifiantes, des digressions et des opinions assez décoiffantes, à propos de la religion catholique, de Vatican II, du pape - qu'il juge "complètement réactionnaire" - et de l'Eglise actuelle qu'il estime «foutue" : "il faut qu'elle disparaisse pour mieux renaître".

Prêtre-ouvrier

Né en 1930 à Château-Gontier, en Mayenne, dans ce diocèse de Laval où il effectuera une grande partie de sa "carrière" et qui demeure son port d'attache, Maurice Gruau eut, le jeudi saint de 1938, une espèce de révélation. Il deviendrait prêtre parce que c'était, à ses yeux, "le meilleur métier possible". Son père, qui travaillait au marché aux chevaux de Vaugirard, apprécie modérément. «Les rapports entre nous n'ont jamais été faciles", se rappelle Maurice, «et j'ai heureusement rencontré, dans l'Eglise, d'autres pères". Mais il persiste. Après le séminaire, où il excelle en grec et en latin, il est ordonné prêtre en 1955. «Le plus important, pour nous, c'était de pouvoir dire la messe !" A cette époque bénie, il y avait trop de prêtres pour les paroisses à pourvoir : Gruau se retrouve surveillant dans un collège. Et puis, les vocations, vite, commencent à décliner. "L'abbé Pierre, paradoxalement, avec son appel del'hiver 54, a fait du tort à l'Eglise. Ensuite, il y eut Vatican II, une espérance formidable qui a été enterrée par la hiérarchie catholique, puis Mai 68. Tout ça nous a bouleversés." Curé de campagne en Mayenne, puis vicaire général "détaché" au diocèse de Sens, le père Gruau a failli devenir évêque. «Mais je n'en avais pas envie, je ne voulais pas être un homme de pouvoir."

Les "événements de Mai" le trouvent à l'université de Rennes, où il étudie la linguistique, puis la sociologie, jusqu'au doctorat. Discipline qu'il enseigne ensuite à la faculté de médecine, à Rennes toujours, avant qu'on ne lui propose de remplacer, à Paris-7 Diderot, Michel de Certeau, «un ami, dit-il, et quelqu'un d'aussi peu ecclésiastique que moi". Jusqu'à sa retraite, il y a enseigné l'anthropologie de la religion catholique, telle qu'il l'a vue pratiquée par ses paroissiens. «C'est à partir de la pratique des gens, dit-il, que l'on va retrouver la vraie foi chrétienne, celle des groupes évangéliques. L'Eglise, elle, est moyenâgeuse et incapable de se réformer."

Maurice Gruau, qui reconnaît avoir eu une liaison "clandestine" avec une femme, Annick, morte d'un cancer, qui se sent bien plus proche de ses amis francs-maçons que des catholiques tradionalistes, qui fut aumônier dans les prisons, prêtre-ouvrier, est avant tout un homme libre, indépendant. Il a toujours travaillé en plus de son "job" de prêtre, et a vécu en accord avec ses convictions. Il a même "adopté" un adolescent marocain, qui lui a été confié par la Dass. «Il a aujourd'hui 35 ans, et je le considère comme mon petit-fils." Atypique, le père Gruau, qui jeûne tous les jours jusqu'au dîner, parce que c'est une "expérience mystique", n'a pas peur de l'islam, "mais des islamistes, parce qu'ils sont comme les chrétiens d'autrefois, conquérants". S'il possède un compte sur Facebook, il n'a jamais songé à demander sa "réduction" à l'état laïque. Il préfère rester prêtre, pour aider "tous les paroissiens en détresse". Son parcours dans le siècle, raconté avec sincérité et humour, est une belle leçon de vie.

Maurice Gruau, Naissance d'un vieux prêtre, Métailié, 308 p., 21 euros, ISBN : 978-2-86424-893-4, tirage : 3 000 ex.

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