Robespierre est un bon indicateur politique. Porté aux nues ou détesté, il traduit le pouls révolutionnaire du moment. Aujourd'hui, même si Jean-Luc Mélenchon a remplacé « le peuple » de Maximilien par « les gens », le personnage n'est guère revendiqué.
L'approche de Marcel Gauchet se situe moins sur le terrain de la réhabilitation que de la compréhension. Pour cela, il a puisé dans la masse impressionnante des discours et des écrits de l'Incorruptible. Robespierre s'y révèle comme nul autre parce qu'il parle souvent de lui. C'était donc l'occasion pour l'auteur de La Révolution des droits de l'homme (Gallimard, 1989) de tenter de comprendre ce qu'il avait dans la tête.
« Robespierre n'a été ni un démagogue vulgaire ni un théoricien prophétique. Il s'est identifié d'entrée à ce qui allait se révéler l'âme non préméditée de la Révolution, à savoir les droits de l'homme, et il en a épousé la logique jusqu'à leurs dernières conséquences, au point d'en faire la règle de son existence et de son personnage public. »
Pour le rédacteur en chef de la revue Le Débat, l'avocat d'Arras s'est toujours comporté en homme de droit, jusqu'à la chute, jusqu'à « la nausée de la guillotine ». Sans faille, sans état d'âme, il a poursuivi un mirage : vouloir gouverner la Révolution. Le pouvait-il seulement ? Devenu tyran, il ne s'était même pas aperçu de la tyrannie qu'il exerçait. Gouverner le changement, dompter l'indomptable. Certains en rêvent encore comme du mouvement perpétuel. L'exemple Robespierre montre que cette fondation est introuvable, aussi insondable que la distance qui sépare le règne de la vertu.
La chute de la royauté le révèle à lui-même. Il veut représenter ce peuple de manière quasi mystique en lui imposant un Etre suprême pour le protéger de l'immoralité. S'il était mort en 1791, Robespierre serait une figure du libéralisme. Désormais, sa rhétorique froide, efficace, sans émotion, l'a identifié à la Terreur.
L'Incorruptible n'est pas imperméable à ce qui l'entoure. Mais il finit par s'idéaliser lui-même, à se prendre pour ce qu'il allait devenir, un despote. La mort du roi sera l'acte décisif de cette tragédie française à laquelle il a pris une part non négligeable. Interroger Robespierre comme le fait Marcel Gauchet, c'est questionner le rapport particulier que les Français entretiennent avec la politique.
La Révolution n'a pas totalement quitté les esprits. Après le roman d'Eric Vuillard 14 Juillet (Babel, 2018) et le film de Pierre Schoeller Un peuple et son roi, l'essai de Marcel Gauchet vient confirmer une tendance. Au terme de cette analyse brillante, Robespierre reste un mystère. Mais l'historien a contribué à dissiper quelques brumes. On comprend qu'il préfère le héraut de la Constituante plutôt que celui du Comité de salut public. Mais comment est-il passé de l'un à l'autre ? Comment le libéral est-il devenu autocrate ? Sur cette affaire, le point final devient toujours point d'interrogation.
Robespierre : l’homme qui nous divise le plus
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21 euros ; 288 p.
ISBN: 9782072820922