C’est au tour d’Hubert Haddad de se prêter au jeu de l’intéressante collection "Traits et portraits" du Mercure de France, laquelle pourrait également s’intituler "Carte blanche". L’auteur invité y a en effet toute latitude pour évoquer son parcours, en général vie et œuvre mêlés, tout comme le texte avec des illustrations. Il s’agit ici essentiellement des dessins d’Hubert H., dont nombre de ses lecteurs découvriront également son talent de peintre, et aussi, forcément émouvantes, des compositions de Michel (ou Michaël), son frère aîné, professeur aux Beaux-Arts, qui s’est suicidé en 1979.
La tonalité du livre est donnée : il s’agit d’une évocation des nombreux épisodes douloureux qui ont jalonné la trajectoire de l’écrivain, comme confronté à une obscure malédiction. C’est ce qu’il nomme, avec pudeur et un certain sens de l’humour, noir, des "coïncidences exagérées". Ainsi son frère cadet, René, qui succombe à une rupture d’anévrisme le 13 novembre 2015, alors même que Paris était ensanglanté par la barbarie terroriste. Dans son deuil, Haddad, bien sûr, associe les deux événements.
Dense, riche en citations, en digressions, en détours, le texte retarde autant qu’il peut l’évocation d’un autre drame, intime : comment, le 17 septembre 1970, à 20 ans à peine, alors que, sous l’effet de psychotropes, Hubert Haddad allait se jeter dans le vide, nu, du 4e étage de son immeuble, et sans raison apparente, il a été sauvé par son ami Elie, un jeune poète qui finira aussi tragiquement, en 2013. De ce terreau fatal est sorti ce que seul peut réussir un écrivain : un beau livre. J.-C. P.