Henry David Thoreau (1817-1862) possédait une qualité souvent présente chez les écrivains qui meurent jeunes : la maturité. C’est en effet le mot qui vient spontanément à l’esprit après avoir lu les vingt-sept essais inédits écrits lorsqu’il était étudiant à Harvard. Là où d’autres se sont contentés de paraphraser les Anciens ou de commenter les Modernes, le futur héraut de la désobéissance civile montre à 17 ans son originalité. Non seulement il pense par lui-même, mais ce qu’il dit nous touche encore. Il nous émeut car on sent qu’il a vécu sa philosophie, comme il a vécu dans des bois, au bord du lac de Walden, dans une modeste cabane, pour éprouver la solitude au milieu de la nature. Hors du monde pour mieux le comprendre.
On voit bien pourquoi Michel Onfray apprécie tant ce "philosophe héraclitéen". Ses introductions à Vivre comme un prince et à la nouvelle édition de Walden apparaissent comme des autoportraits. Non pas qu’Onfray vive dans les bois. Mais il aime sa retraite normande et déteste les mondanités parisiennes auxquelles il sacrifie pourtant volontiers à chaque nouveau livre.
Thoreau se méfiait lui aussi de la mode qui se démode, des envies qui passent et des vies qui trépassent. Ses certitudes - encore qu’un philosophe ne doit pas trop en avoir -, il les tire de ses lectures et surtout de son expérience. "Si nous voulons viser la perfection en tout, il ne faut pas négliger la simplicité. Si l’auteur veut atteindre à la renommée littéraire, qu’il veille à suggérer des pensées qui soient simples et évidentes, et à formuler clairement ce qu’il veut dire, dans un langage châtié."
Durant ces trois années à Harvard, et jusqu’à ses 20 ans, on voit se former cet intellectuel contestataire, anticonformiste et excentrique. Si "l’enfant qu’il fut a bien été le père de l’homme qu’il a été" - dixit Onfray -, il n’en demeure pas moins que Thoreau reste un homme qui écoute la nature autant que ses pensées. Le solitaire de Concord fut un pionnier rebelle qui s’est essayé à tous les genres comme le montre son immense Journal qu’il rédigera jusqu’à sa mort et dont les éditions Finitude font paraître un volume par an depuis 2012.
Pour Vivre comme un prince, l’arpenteur du Massachusetts se contentait de peu. Son royaume fait de paysages et de livres n’avait pas de limite. "La terre que nous foulons est aussi curieuse que les étoiles que nous contemplons." Ce fut sa façon de gagner la postérité. Laurent Lemire