Que sait-on vraiment des Troyens ou encore des Carthaginois? Vae victis, malheur aux vaincus! Pour ce qui est des civilisations dites précolombiennes, des pierres, des objets demeurent, qui attestent la splendeur de ces empires d’Amérique centrale ou des Andes, mais les voix autochtones se sont à jamais tues, étouffées par la fureur des conquistadors ou les vociférations des évangélisateurs. Peu de noms sont parvenus jusqu’à nous: Moctezuma au Mexique, Atahualpa au Pérou… C’est à ce dernier, ultime empereur andin libre, que Gilbert Vaudey a voulu rendre une manière d’hommage en relatant ses jours et sa fin dans un texte à la fois érudit et personnel, Vie et mort de l’Inca Atahuallpa. Atahuallpa, sic, c’est ainsi que l’auteur d’Arrière-histoire du Pérou (Christian Bourgois, 1979) choisit d’orthographier le nom du "fils du Soleil". Ce n’est pas vraiment le dernier Inca, car se succéderont encore des princes incas de plus en plus asservis au pouvoir castillan. Et de lui on ne sait pas grand-chose, mais c’est ce peu de choses sûres à son sujet qui fait d’Atahuallpa, aux yeux de l’écrivain lyonnais, "une figure pressante". Le samedi 16 novembre 1532 à Cajamarca, Atahuallpa porte la mascapaicha, "la frange de fils de laine écarlate jaillis de tubes d’or qui lui tombe sur le front, le désigne comme le souverain". Autour de lui: les dignitaires incas aux disques d’or qui leur élargissent le lobe auriculaire. En face: Francisco Pizarro, ses hommes, ses chevaux et le prêtre chargé de convertir l’empereur païen. Lequel jette la Bible qu’on lui présente, son sort est scellé. De la magnificence d’un vaste empire aux ténèbres de l’oubli, c’est le vertige - une ignorance muette, abyssale. De Gilbert Vaudey on comprend la fascination. S. J. R.