Il y a 200 ans, Louis Braille, jeune aveugle, inventait un système d’écriture et de lecture révolutionnaire qui aidera à l’émancipation de toute une partie de la population. Ces combinaisons de six points en reliefs sont utiles aux aveugles et malvoyants profonds, qui sont près de 207 000 en France aujourd’hui. Le centre de transcription et d’édition en braille (CTEB) recense 1,7 million de personnes atteintes d’un trouble de la vision en France.
Un marché réduit
Le système de distribution des livres braille est particulier, les acheteurs ne passant pas par des librairies mais s'adressant directement aux centres d'édition ou aux médiathèques.
Le CTEB est le premier organisme d’édition braille en France. D'après la fédération des aveugles de France, 300 000 personnes lisent le braille. Adeline Coursant, la directrice du centre, affirme : « C’est un petit marché, on estime que 15 000 à 20 000 personnes utilisent le braille dans la vie courante, mais ces personnes ont le droit d’avoir accès à la culture ».
Le marché se concentre sur quelques structures. Le CTEB est le principal producteur de livres en braille, suivi par des acteurs comme l'association ApiDV, Les éditions Le livre de l'aveugle, la médiathèque Valentin-Haüy. Des maisons d’édition telles que Mes mains en or, Les doigts qui rêvent et Benjamin Media sont spécialisés dans l'édition jeunesse.
200 ans du braille : un colloque à la BNF pour célébrer une révolution toujours en marche
D’après les chiffres du CTEB, en France, seuls 6 % des livres sont adaptés à l’usage des déficients visuels, 4 % seulement sont édités en braille et support papier. Le centre édite 200 livres de tous genres (roman policier, littérature, livres pratiques…) par an, et possède un catalogue de 2 700 références.
Céline Boeuf, bibliothécaire et adjointe au responsable de la médiathèque Valentin-Haüy, confirme que les livres les plus faciles à retranscrire et les plus demandés sont les livres de fiction adulte et jeunesse.
Le fossé entre l’édition classique et l’édition en braille est immense : le tirage moyen d’un livre classique s’élève à 5 000 exemplaires tandis qu'il est de cinq copies pour les livres en braille. Raison pour laquelle le centre d’édition fonctionne uniquement sur commande en ligne, afin de limiter les stocks.
Des coût de production élevés
La loi Lang de 1981 encadre le prix unique du livre, mais elle ne concerne pas les livres adaptés. Ceux écrits en braille sont beaucoup plus grands, souvent en plusieurs volumes et demandent environ trois semaines de travail. Alors évidemment, les prix sont plus élevés.
D’après le CTEB le prix de revient d'un livre en braille est estimé entre 700 et 900 euros, et pour des manuels scolaires, il faut compter 2 000 euros. Adeline Coursant déplore une aide du ministère de la Culture insuffisante de 20 000 euros, qui permet d’éditer uniquement 15 livres par an.
Depuis le 4 janvier 2023, le CTEB applique la loi sur le prix unique du livre aux livres en braille, ce qui revient à les produire à perte. Sur un livre vendu 10 euros en édition classique, la maison perd 740 euros son équivalent en braille. Ainsi, le centre doit se contenter de 200 nouveautés par an et se voit obligé de diversifier ses activités. Pour se maintenir à flot, le CTEB fait de la transcription en braille de documents à la demande (menus de restaurants, guide touristiques…) et de la transcription de relevés bancaires sous contrats (environ 8 000 par an).
Néanmoins ce respect du prix unique a fait bondir les ventes, les achats par des particuliers de livres en braille ont doublé depuis la première mise en place, en 2023.
Les maison d'édition associativesen difficultés
Pierre Marragou est président de ApiDV, une association qui a pour objectif d’accompagner les personnes malvoyantes dans leurs parcours et imprime des livres adaptés tout en essayant de promouvoir l’écriture en braille. Aujourd’hui les braillistes constituent 12 % de la population des personnes déficientes visuelles : « On ne se satisfait pas de ces 12 %, pour apprendre le braille il faut plus de livres en braille ».
Les associations ont la vie dure, aussi à cause de l’augmentation du prix du papier malgré le braille numérique qui réduit le coût. Ainsi les imprimeries ne peuvent compter que sur l’investissement de particuliers ou celui de mécènes.
Le braille numérique réduit largement les coûts de production mais n'est pas accessible à tout le monde, le matériel étant coûteux (3 000 à 10 000 euros) et nécessitant une formation adaptée. Néanmoins 1 255 livres ont été adaptés en braille numérique dans les collections de la Médiathèque Valentin-Haüy depuis le début de l’année 2025.
Les structures spécialisées sont unanimes, rien ne remplace la pratique du braille sur le livre papier qui reste difficile d'accès.
