La clé des chants. Ce n'est sûrement pas un hasard si Laurent Dubreuil, professeur depuis 2005 à l'université Cornell dans l'État de New York, habite à Ithaca, baptisé jadis Ulysses aux premiers temps de l'indépendance des États-Unis. Il y enseigne les études romanes et la littérature comparée. Né en 1973, essayiste éclectique, il a publié en 2019 chez Gallimard La dictature des identités, un essai prophétique et salutaire sur les conséquences néfastes du wokisme dans les universités américaines.
Lorsqu'on vit à Ithaque et qu'on est un fin helléniste, comment ne pas travailler sur l'Odyssée d'Homère ? Laurent Dubreuil le fait à sa façon, personnelle, sensible, et non sans humour. On savourera ainsi tout particulièrement le dernier chapitre de Botaniser l'Odyssée, évocation des verts paradis de l'enfance, la maison des grands-parents dans la région du mont Pilat, sur les coteaux du Rhône, avec son vignoble en friche et son verger délaissé, retourné à l'état sauvage. On n'est pas loin d'Ulysse dans son île, au terme de dix années d'errance et d'épreuves, après la guerre de Troie contée dans l'Iliade. De retour chez lui, ayant massacré les prétendants avec l'aide de son fils Télémaque, il se retrouve dans son jardin, où œuvre son vieux père Laërte. « Heureux qui, comme Ulysse... », chantait Du Bellay. Chez Homère, les éléments et la nature sont omniprésents. Une nature sauvage, où figurent des végétaux assez traditionnels : cèdre, osier, asphodèle, lin... Les plantes − plus d'une quarantaine recensées par Laurent Dubreuil dans un précieux index grec/français/latin − sont nommées, décrites, parfois intégrées dans des métaphores, comme la fameuse « aurore aux doigts de rose ». Le monde des jardins est également très présent : ceux de Calypso, d'Alkinoos (le père de Nausicaa), de Tantale, ou de Laërte, on l'a vu. Trois plantes énigmatiques, psychotropes ou apotropaïques, requièrent une attention particulière : le pharmakon népenthès (« le simple qui désendeuille », peut-être un dérivé de l'opium, venu d'Égypte), le lôtos, le trèfle, « poison d'oubli » des Lotophages djerbiens, et le môlu, le remède des dieux contre les maléfices de la sorcière Circé.
Le monde d'Homère se voit ici abordé sous un angle botanique séduisant, poétique, éclairant, original. Tout comme le livre de notre universitaire, heureux dans son Ithaque à lui.
Botaniser l'Odyssée
Les Belles lettres
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 19 € ; 128 p.
ISBN: 9782251455723