Comme tous les éditeurs, Larousse est confronté à la hausse des prix. Après une longue période de stabilité, les siens augmenteront en moyenne de 5 % en 2023. Mais face à l'inflation, la maison du groupe Hachette Livre fait aussi de la lutte contre la surproduction son cheval de bataille. En début d'année, elle s'est engagée à publier 20 % de nouveautés en moins, cette cure d'amaigrissement étant compensée par la remise en avant des long-sellers du fonds. Depuis cinq ans, Larousse avait déjà réduit de 10 à 15 % la voilure sur les beaux livres, particulièrement onéreux à produire. En étendant le principe de rationalisation à l'ensemble de son catalogue, l'éditeur envoie, à l'heure de la crise du papier et de l'inflation galopante, un signal fort. Pilote au sein d'Hachette Livre, son initiative pourrait d'ailleurs être étendue à d'autres entités du groupe. Elle n'en reste pas moins, pour l'instant, une expérience dont les performances seront scrutées à la fin du premier semestre : Larousse fait le pari que les libraires, habitués à tourner sur la nouveauté, « joueront le jeu du fonds ». L'éditeur a prévenu qu'il reviendrait à son niveau de production originel dès le second semestre si le succès n'est pas au rendez-vous.
Se détacher des dictionnaires
De manière plus large, ces ajustements témoignent de la transformation opérée depuis une quinzaine d'années. Même s'il reste très associé aux dictionnaires dans l'imaginaire collectif, Larousse n'a plus grand-chose à voir avec l'image de spécialiste de la référence qui lui colle encore à la peau. Dans un catalogue désormais beaucoup plus diversifié, le pratique, la jeunesse et le parascolaire représentent aujourd'hui les trois quarts de sa production annuelle, seul le dernier quart étant toujours consacré aux ouvrages de référence.
Pour mesurer le chemin parcouru, il faut revenir à 2006 et à l'arrivée d'Isabelle Jeuge-Maynart à la tête d'une entreprise souffrant déjà de l'érosion des ventes de dictionnaires. Cette année-là, la référence pesait encore 60 % du chiffre d'affaires ; elle était aussi la cause principale des difficultés de Larousse. Sitôt entrée en fonction, Isabelle Jeuge-Maynart s'emploie donc à transformer une culture éditoriale historiquement tournée vers l'exhaustivité et la lexicographie. « Larousse bénéficiait d'une excellente image, très respectée, mais aussi très institutionnelle et un peu éloignée de la vie quotidienne des lecteurs, se souvient l'intéressée, toujours à la barre après dix-sept ans. Notre challenge a été de proposer des livres d'auteurs, incarnés et qui n'hésitent pas à prendre position. »
« Éditeur de savoir »
Le segment du pratique, en particulier, est érigé en fer de lance sous l'impulsion d'Isabelle Jeuge-Maynart. Hérité du fonds Bordas racheté au début des années 2000, il s'étoffe de livres abordant le jardinage, le bricolage, la cuisine, l'alimentation ou encore les loisirs créatifs. Des coffrets sont également lancés... et la transition s'opère naturellement : « En tant qu'éditeur de savoir, il y avait beaucoup de domaines dans lesquels nous étions légitimes à développer une offre, poursuit Isabelle Jeuge-Maynart. La transmission des savoir-faire pratiques entre générations (jardin, cuisine...) a beaucoup reculé depuis les années 1970-1980. Le public vient maintenant chercher ce savoir dans les livres. » Déjà présent en jeunesse via le documentaire, Larousse s'est aussi tourné vers la fiction jeunesse et a renforcé ses positions en parascolaire.
Dès 2007, la diversification opérée permet de renouer avec les bénéfices. Depuis, Larousse n'a cessé d'élargir le champ de ses publications. Un département littérature grand public a vu le jour en 2018, suivi en 2021 de la création de la marque Nouvelles Énergies pour investir le marché en plein développement de l'ésotérisme. L'actuel effort de rationalisation permet à la maison d'ajuster le tir après le fort développement des dernières années. La « hausse maîtrisée » des prix qui l'accompagne apparaît comme un autre impondérable. « La crise du papier nous a rappelé qu'en 20 ans, le prix des livres n'avait quasiment pas augmenté alors qu'ils sont de meilleure qualité, plus innovants et coûtent de plus en plus cher à produire », conclut Isabelle Jeuge-Maynart.