Femmes et féminisme
L'année a débuté avec une bombe littéraire. Publié par Grasset le 2 janvier, Le consentement de Vanessa Springora raconte la relation de l'éditrice avec Gabriel Matzneff, alors qu’elle était âgée de 14 ans et lui d’une cinquantaine d’années. Son texte a déclenché l'ouverture d'une enquête pour viols sur mineurs. Le journal de Matzneff, qui s'étend sur quatorze volumes, a cessé d'être commercialisé par Gallimard et les enquêteurs ont perquisitionné les locaux de l'éditeur. En un mois, l'auteur récompensé du prix Renaudot en 2013 est devenu un paria. L'affaire Matzneff a aussi entraîné la démission de Christophe Girard, adjoint à la Culture de la maire de Paris Anne Hidalgo, cible de critiques de la part des associations féministes et des élus écologistes de la ville de Paris pour ses liens avec l'écrivain. Symbole de la première grande affaire #MeToo dans le monde du livre, le livre de Vanessa Springora sera adapté au cinéma et paraîtra en poche le 6 janvier (Le livre de poche).
Publiés à un mois d'écart l'un de l'autre, les essais de Pauline Harmange et Alice Coffin ont suscité de vives réactions dans la presse et sur les réseaux sociaux. Elue écologiste ayant joué un rôle majeur dans la démission de Christophe Girard et militante féministe, Alice Coffin a dévoilé sa vie et son parcours dans Le génie lesbien (Grasset). Rapidement, des extraits tronqués et sortis de leur contexte sont publiés dans les médias — notamment le passage "Je ne lis plus de livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n'écoute plus leurs musiques. J'essaie du moins." — et provoquent l'indignation. De son côté, le seul titre de l'essai de Pauline Harmange a suffi pour déclencher une polémique. Edité le 20 août par Monstrograph puis le 2 octobre par Le Seuil, Moi les hommes, je les déteste a provoqué l'ire de Ralph Zurmély. Ce chargé de mission au ministère délégué à l'égalité hommes-femmes a souhaité interdire la publication de l'ouvrage et menacé les éditeurs de poursuites pénales. Tous deux réduits à leur seule revendication de la misandrie, ces deux essais ont défrayé la chronique pendant quelques semaines.
L'annonce de la sortie de Soit dit en passant, l'autobiographie de Woody Allen, a provoqué la "stupéfaction" de sa fille adoptive Dylan Farrow. Depuis 1992, cette dernière accuse le cinéaste de l'avoir agressée sexuellement lorsqu'elle avait sept ans. Ces accusations ont débouché sur un non-lieu par la justice américaine. Dans son livre, traduit en français par Marc Amfreville et Antoine Cazé, le cinéaste revient sur sa carrière au cinéma, à la télévision, sur la scène des clubs ainsi que sur son travail d’écrivain. Initialement prévu pour paraître chez Hachette Book Group, le groupe d'édition Hachette Livre a renoncé aux droits suite à un mouvement de protestation du personnel face aux accusations contre le metteur en scène. Finalement, les mémoires de Woody Allen sont parues en France le 13 mai dernier chez Stock.
Fiction ou réalité ?
Annoncée, puis reportée et finalement maintenue, la publication de Yoga d'Emmanuel Carrère chez Stock a fait l'objet de nombreuses rumeurs. L'ouvrage s'est rapidement hissé dans les meilleures ventes dès sa sortie. Un mois après sa parution, un texte de Hélène Devynck, ex-compagne de l'auteur, publié dans Vanity Fair a fait couler beaucoup d'encre. Elle y révèle l'existence d'un contrat qui empêche Emmanuel Carrère d'écrire sur elle et explique n'avoir pas consenti à la publication de Yoga "tel qu'il est paru". Accusé de mensonge et trahison, l'écrivain lui répond par média interposé, sous la forme d'un tribune publiée dans Libération. L'affaire intime s'est transformée en guerilla médiatique soulignant la fragile frontière entre fiction, autofiction et récit autobiographique.
Raphaël Enthoven a aussi éprouvé les limites de cette frontière poreuse avec la publication du Temps gagné (L'Observatoire). L'éditeur a été assigné en justice pour diffamation par Isi Beller, l'ex-beau-père de l'auteur. Celui-ci accuse Raphaël Enthoven de l'avoir décrit, à travers le personnage d’Isidore, comme un homme brutal qui le violente.
Discriminations
Alors que le mouvement Black Lives Matter revient sur le devant de la scène après la mort de George Floyd en mai, le roman Dix petits nègres d'Agatha Christie change de nom. Publié pour la première fois au Masque en 1940, il est réédité sous le nom Ils étaient dix, dans une traduction de Gérard de Chergé. James Prichard, l’arrière-petit-fils de la romancière à l’origine du changement, a assuré que l’auteure "n’aurait pas aimé l’idée que quelqu’un puisse être blessé par l’une de ses tournures de phrases". L’intégralité de la version française des Dix petits nègres a dû être retraduite. Après plusieurs adaptations du contenu du livre, le mot "nègre" a été complètement effacé. A l’international, l’œuvre avait déjà subi plusieurs modifications. Au Royaume-Uni, le titre de l’œuvre a été modifié dans les années 1980 et aux États-Unis, l’œuvre a été publiée sous le titre Ten Little Indians et And Then There Were None.
Trente ans après le décès de Roald Dahl, sa famille s'excuse pour l'antisémitisme de l'auteur. Dans un communiqué diffusé sur le site internet officiel de Roald Dahl, elle a reconnu des "propos empreints de préjugés" et a présenté ses "profondes excuses pour les blessures durables et compréhensibles provoquées par certaines des déclarations de Roald Dahl".
Quelques mois avant la publication de L'Ickabog (Gallimard jeunesse), J.K Rowling suscite l'indignation sur les réseaux sociaux. Après une série de tweets pouvant aller à l’encontre des personnes transgenres, l'auteure britannique a subi les foudres de nombreux internautes qui lui reprochaient d’avoir réduit les femmes à leurs seules menstruations, excluant alors les femmes transgenres. Plusieurs personnalités ont vivement réagi, dont Daniel Radcliffe, l’interprète d’Harry Potter au cinéma. L’auteure a cependant été soutenue par Hachette. "Nous croyons fondamentalement que chacun a le droit d'exprimer ses propres pensées et croyances. C'est pourquoi nous ne commentons jamais les opinions personnelles de nos auteurs et nous respectons le droit de nos employés à avoir une opinion différente", a expliqué la maison d’édition dans The Independent. Plusieurs écrivains comme Salman Rushdie ou Margaret Atwood ont soutenu J.K. Rowling à travers des tribunes en faveur de la liberté d'expression. Le politiquement correct et la "cancel culture" continuent toujours de faire réagir, à l'image de la publication sur Le Monde d'une tribune de Douglas Kennedy où l'écrivain affirme qu'"à l'ère de la 'cancel culture' — où un simple bon mot peut chambouler votre carrière —, surveiller ce qu'on dit en public est devenu crucial".