« Je me sens si petite, mais à ma place, témoin de cet acte démesuré du recollement des espèces, cet inventaire minutieux du vivant qui m'avait menée jusque-là et qui me fascinait par son intrinsèque incomplétude. » Louise, la narratrice, une jeune artiste plasticienne aussi désorientée que rebelle, se joint à une expédition botanique chargée de répertorier des spécimens de plantes encore inconnues au milieu de la jungle de l'Amazonie péruvienne. Elle prend des photos et dessine, présence insolite parmi les membres de cette mission conduite par l'éminent Joachim, spécialiste du recensement des espèces, à qui la jeune femme adresse son récit, dans un tutoiement à la fois respectueux et intime.

Dès l'ouverture qui décrit une mystérieuse cérémonie d'enfouissement, le lecteur sait que cette fille s'est enfoncée dans la forêt lestée de deuils, de chagrins informulés, de blessures trop grandes pour elle. Que cette aventure extrême tient de la fuite autant que de la quête. Et qu'elle n'est pas la seule à vouloir s'oublier dans le « labyrinthe végétal ».

Dans la forêt jamais silencieuse, oppressante, dangereuse, grandit la tension du huis clos, hors du monde, parmi les scientifiques absorbés par un travail qui a des allures de vocation, tandis que le passé traumatique que Louise a laissé derrière elle est peu à peu dévoilé, ménageant une forme de suspense très contrôlé. Chaque chapitre est introduit par la définition d'un terme botanique, miroir subtil et sans didactisme de l'intériorité des personnages, écho de leurs sentiments, des relations qui se nouent entre eux comme ce mélange d'attraction pudique, de séduction équivoque et de curiosité mutuelle qui lient la jeune artiste et le grand professeur. Figure admirée de mentor, le chef de l'expédition va expliquer les lois de la selva à sa singulière disciple : le mécanisme de la photosynthèse, les stratégies de conquête et d'adaptation de la faune à l'image de la tentaculaire liane, « seule plante d'abord attirée par l'ombre » et qui entame ensuite une irrésistible ascension vers la canopée, ou de ces « lianes volubiles qui tuent les arbres qui leur servent de support ». Blandine Fauré a 34 ans et Faune et flore du dedans est son premier roman. Une belle entrée en matière.