À l’occasion du Salon du livre et de la presse de jeunesse de Montreuil et dans sa foulée se réveille à nouveau l’inquiétude à propos de la lecture chez les jeunes. La ritournelle prend la forme des États généraux de la lecture jeunesse et de l’entretien accordé par la ministre de la Culture Rachida Dati à Livres Hebdo. Mais les discours sur la lecture des jeunes ne révèlent-ils pas d’abord les angoisses des adultes ?
Un pass Culture raboté
Commençons par questionner la cohérence de cette inquiétude avec la mesure ayant consisté à réduire de moitié le montant du pass Culture individuel en début d’année. Les jeunes qui se sont largement approprié le dispositif, y compris pour acheter des livres ont été conduits à réduire leurs achats de livres. Les libraires qui traversent une période de contraction des ventes déplorent la réduction de ce soutien qui correspondait aussi à un travail de promotion de la lecture. La lecture suppose une appropriation de la pratique et le pass Culture donne (moins qu’avant) les moyens de se définir comme lecteur à travers un choix et une pratique de fréquentation de librairies.
Et d’ailleurs, les États généraux préconisent de « renouer avec le plaisir de lire, en considérant la lecture comme une activité choisie ». Le pass Culture permettait d’atteindre précisément cet objectif. Car on touche à une aporie : comment imposer le plaisir de lire ? Pour faire de la lecture un plaisir, il faut que le déchiffrage soit maîtrisé, que la pratique soit évidente dans l’environnement et que l’offre de livres soit abondante mais il faut aussi avoir les moyens de le satisfaire.
Part de la population se définissant comme lisant beaucoup selon l'âge (2015-2025)- Photo CNL
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Et cela n’est pas incompatible avec l’« ambition de massification » afin de mettre des livres au milieu de la vie des enfants. Il reste qu’elle risque de se heurter au puissant effet pervers que constitue le regard des adultes sur les pratiques juvéniles. Et, s’agissant du pass Culture, les signes de blocage de titres de new romance ne vont pas dans le bon sens…
Une baisse surtout chez les 35-64 ans
Mais en réalité, la lecture de livres est-elle particulièrement en baisse chez les jeunes ? Même si toutes les données ne sont pas accessibles, les enquêtes du CNL offrent un moyen de saisir les évolutions des déclarations de pratique selon l’âge.
Les jeunes de 2015 étaient très nettement moins nombreux à déclarer lire beaucoup que leurs aînés. 10 ans plus tard, on constate une forte réduction des écarts. Et cela tient moins à une augmentation chez les plus jeunes qu’à une baisse des plus âgés. Les 50-64 ans ont perdu un quart de leurs lecteurs intensifs.
Part de la population déclarant lire tous les jours ou presque selon l'âge (2015-2025)- Photo CNL
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Quand on saisit la lecture par l’indicateur du taux de lecteurs déclarant lire tous les jours ou presque, on observe la même tendance. La baisse s’observe chez les 35 ans et plus. Elle est plus forte chez les 35-64 ans (autour de -15 %).
Ces données invitent à penser que l’inquiétude sur la baisse de la lecture des jeunes émane de catégories qui sont bien placées pour en parler car particulièrement concernées… Cela confirme aussi qu’il convient de faire preuve de prudence quand on parle de la « baisse de la lecture chez les jeunes ». De façon ironique cela donne un peu raison à la région Auvergne-Rhône-Alpes qui accorde un bon de 10 euros d’achat de livres pour les plus de 65 ans…
Incriminer les jeunes
Plus sérieusement, on retrouve dans cette inquiétude aveuglante des anciennes générations, une manière de rejeter la responsabilité d’une situation menaçante pour le monde du livre sur les jeunes. Et heureusement, certaines figures telles Nathacha Appanah résistent à cette tentation. On peut aussi y voir une difficulté des générations en position de transmettre à accepter que les nouvelles générations portent une nouvelle version de la culture.
Et on en perçoit d’autres signes à travers la prudence, voire l’hostilité à l’égard de nouvelles productions éditoriales. Rappelons-nous les premières réactions de rejet d’une partie des libraires à l’égard d’Harry Potter. Il en a longtemps été de même pour les mangas qui voient le musée Guimet accueillir la première exposition qui leur soit consacrée. On pourrait livrer une analyse comparable pour la new romance dont la légitimité contestée repose sur une forme de régulation morale.
Les vertus de l’enthousiasme
La lecture de livres s’érode peut-être un peu (10 % en valeur et 2,1 % en volume des ventes entre 2019 et 2025) mais cela ne tient pas particulièrement au retrait des nouvelles générations. On peut voir dans cette situation un « problème » ou une « crise » mais le diagnostic doit l’emporter sur la distribution des responsabilités qui plus est injuste. La déploration ne résout pas le problème, au contraire. Portons plutôt l’enthousiasme pour la lecture, la richesse de sa diversité, la créativité des libraires et des bibliothécaires !