Guillaume Apollinaire qui biffe au crayon bleu les articles du Mercure de France auquel il collabore. La scène semble improbable. Elle est pourtant vraie. En 1917, le poète travailla au "Bureau de la presse", l’organisme officiel de la censure logé au ministère de la Guerre. C’est une des révélations de la plongée inédite d’Olivier Forcade dans ce monde de la manipulation.
L’historien (université Paris-4 Sorbonne) rappelle le rôle crucial de l’information durant la Première Guerre mondiale aux côtés de la propagande et de la censure. Certes, de manière différée ou transformée, par petits bouts, tout a fini par se savoir, mais après : les grèves, les mutineries, les désastres militaires, les pertes humaines, la révolution russe.
L’essentiel du travail d’Olivier Forcade est consacré à la presse. Et l’on est stupéfait de constater son égarement. C’est dans ce contexte qu’apparaît Le Canard enchaîné. A l’origine de cette prohibition de la vérité, il y a la volonté d’encadrer les opinions publiques pour leur faire accepter une guerre plus longue que prévu. Mais en voulant protéger le peuple, on le trompe et on grignote dans les libertés publiques de la IIIe République. La protection des informations militaires est étendue aux actions du gouvernement puis à toute parole politique. Les 400 personnes qui travaillent à Paris au Bureau de la presse - ils ont dix fois plus de correspondants en province - contrôlent les journaux, l’édition, les théâtres, les spectacles et la correspondance des poilus.
Olivier Forcade montre bien comment se met en place une mécanique qui s’emballe. En s’appuyant sur une solide documentation, il explique les rouages nocifs de la censure. Il fait aussi réfléchir sur un système qui sera réutilisé sous Vichy, puis pendant la guerre d’Algérie.
Laurent Lemire