Qu’on le veuille ou non, il y a les enfants avant et après François Dolto. En associant pédiatrie et psychanalyse, cette femme engagée dans la cité a éclairé le territoire de l’enfance et ses traumatismes d’un jour nouveau. Certains lui ont reproché une forme de laxisme liée à la notion d’"enfant-roi". C’est qu’ils l’ont mal lue ou mal comprise, explique Caroline Eliacheff dans cet essai qui rend hommage à celle dont elle fut l’élève. Elle-même psychanalyste et pédopsychiatre, elle a choisi de raconter Dolto à travers "une journée fictive où tout est vrai".
L’année 1979 n’est pas choisie au hasard. C’est celle où Françoise Dolto arrête ses consultations à l’hôpital Trousseau, son émission "Lorsque l’enfant paraît" sur France Inter, son séminaire sur le dessin d’enfant et ses séances avec ses patients adultes. Dolto est alors à une période charnière. Elle a 71 ans et souhaite se consacrer davantage à Boris Dolto, le brillant médecin kinésithérapeute, désormais malade, avec lequel elle forme un couple uni.
Cette année de césure ne l’empêche pas de continuer une partie de ses nombreuses activités. De 7 heures à 23 heures, Caroline Eliacheff déroule l’existence d’une femme active, mère et psychanalyste. Elle rappelle son engagement dans l’école de la Neuville ou La Maison verte. "Mon projet était de socialiser l’enfant en présence de ceux grâce à qui il sait "qui" il est." C’est-à-dire les parents.
Elle exhume aussi la violence des attaques des lacaniens qui lui reprochent de faire du social, de donner des conseils d’éducation au grand public, d’être communiste et "bondieusarde" par sa lecture psychanalytique de la Bible. Lacan qui la trouvait "culottée" lorsqu’elle parlait de la sexualité féminine devant ses collègues masculins ne répondait plus à ses demandes de soutien. L’ami d’hier était parti ailleurs.
Dans cette évocation sensible, plus efficace que bien des biographies, accessible à un large public, Caroline Eliacheff retrace les grandes étapes d’une praticienne d’exception, théoricienne sans faire de théorie, qui eut une relation privilégiée avec les petits. Avec cet acharnement à vouloir les comprendre et les aider, elle a su leur rendre leur insouciance de gosse. Elle a même réussi un petit miracle: faire parler les parents. L. L.
