"Anti-art" est un terme inventé par les théoriciens de l'art pour qualifier une certaine tendance dans les arts plastiques initiée par Dada et ses épigones. Un art conceptuel tournant le dos à la création formelle et à l'idée même d'originalité en art. La critique anglo-saxonne a souvent accolé aux livres de Tom McCarthy le label d'anti-novel, >"anti-roman", tant l'auteur de Remainder semble faire fi des procédés romanesques usuels. Tout d'abord refusée par les maisons d'édition outre-Manche, sa première fiction était l'histoire d'un homme qui, après avoir à la fois hérité de millions et perdu sa mémoire, s'évertue à recoller les morceaux du puzzle sensoriel de son passé. Cet objet littéraire non identifié trouva finalement preneur chez un petit éditeur lié à l'art contemporain et installé à Paris, Metronome Press, avant d'être traduit en français en 2007 par Hachette Littératures sous le titre Et ce sont les chats qui tombèrent. C ne déroge pas au style singulier qu'a su imposer le secrétaire général de l'avant-gardiste Société internationale des nécronautes : un livre qui tient autant de la littérature que de l'art contemporain. On y devine les goûts de l'ancien étudiant en lettres d'Oxford. C illustre l'intertextualité postmoderne où foisonnent, nombreuses et subreptices, les références à Ulysse de Joyce, Ada de Nabokov ou encore Orphée, le film de Cocteau. C est également une manière d'installation textuelle - un agencement de mots qui forme un paysage et une atmosphère dignes d'un tableau. Un tableau très peu naturaliste : l'effet de réalité (cet ample déploiement en écriture faussement classique) est trompeur, nulle volonté de mimétisme, on est dans la "métafiction" : l'écriture y est réflexive et dépeint tout autant qu'elle interroge l'acte même d'écrire - le détail magnifié de telle scène où virevoltent des papillons crée une distorsion critique de l'espace et du temps. Le synopsis de C en soi est assez simple : il s'agit du parcours d'un personnage nommé Serge Carrefax, qui débute vers la fin du XIXe siècle et s'achève dans les années 1920. Serge passe son enfance dans un vert paradis bizarre, au sein de la communauté des sourds-muets de l'école de malentendants que dirige son père. Ce dernier est un inventeur fou, obnubilé par la télégraphie sans fil ; quant à sa mère, elle est sourde et plongée la plupart du temps dans la béatitude léthargique que procure la consommation d'opiacée. Sophie, sa soeur aînée, est son seul roc affectif dans un environnement où le dialogue peine à se nouer. Le suicide de Sophie et la Première Guerre mondiale plongent le héros dans un univers chaotique dont les signes, malgré le progrès scientifique et l'invention de la communication par les ondes, demeurent indéchiffrables. Comme aiguillonné par le désir d'entrer en contact avec les trépassés et de percer à jour le mystère de la mort, il suit l'égyptologue Lord Carnavon, le profanateur de la tombe de Toutankhamon et victime de la malédiction du pharaon.