Né à Rome en 1983, Paolo di Paolo est le jeune homme pressé des lettres italiennes : ce "prodige" (disait feu son ami Tabucchi) a déjà publié plusieurs romans, des pièces de théâtre, il travaille pour la presse, la télé, a été finaliste de prix littéraires transalpins, Campiello, Strega… Tanta vita !, publié en Italie en 2013, est le premier de ses romans traduit en France.

Œuvre de fiction revendiquée, di Paolo s’est inspiré pour l’écrire du destin tragique d’un personnage réel, Piero Gobetti, mort à 24 ans en exil et dans la misère à Paris, en 1926, où il avait fui les persécutions fascistes. Philosophe, écrivain, il éditait et dirigeait à Turin une revue littéraire et politique où il condamnait le régime instauré par Mussolini.

La version romancée de son histoire, di Paolo l’entrecroise avec celle de Moraldo, fils d’un vendeur de chaussures. Complexé par ses origines, il essaie, lorsqu’il vient faire ses études à Turin, de compenser par l’arrogance. Ce qui, allié à sa timidité, lui vaudra de ne pas séduire "la jeune fille qui lisait Nietzsche". En revanche, il va tomber amoureux de Carlotta, une photographe qu’il suivra en cachette jusqu’à Paris. C’est là qu’il croise Piero, déjà mourant, et se souvient combien, à la fac, il l’avait jalousé, détesté. Envié, surtout : "Je voudrais être lui", alors que l’autre n’a jamais répondu à ses offres de collaboration ou d’amitié.

Le nœud de ce roman austère et intellectuel réside dans les rapports - ou les non-rapports - entre Piero et Moraldo, que tout aurait pu rapprocher mais que la vie puis la mort ont séparés. Paolo di Paolo emmêle les destinées avec brio, fournissant au lecteur des indices, comme dans une enquête a posteriori. Dense mais jamais pesant, ce livre réussi augure bien de la suite de son œuvre, à paraître chez Belfond. J.-C. P.