Chronique d’hiver (Actes Sud, 2013) était une passionnante exploration du corps. Avec lucidité, Paul Auster avait entrepris de "cataloguer les multiples coups et plaisirs éprouvés par [s]on être physique", comme il l’explique au début d’Excursions dans la zone intérieure, où il sonde son esprit à partir de ses souvenirs d’enfant. Sans franchir la limite des 12 ans, car au-delà, selon lui, il voguait déjà vers l’adolescence et des "lueurs de l’âge adulte" avaient commencé à poindre dans son cerveau.
L’auteur de Moon palace (Actes Sud 1990, repris en Babel) estime "être comme n’importe qui, comme tout le monde". Le voici qui se demande : "Comment es-tu devenu une personne capable et, une fois que tu en as été capable, où tes pensées t’ont-elles mené ?" Le jeune Paul grandit dans une famille de la classe moyenne. Il se décrit comme un garçon normal, habite une vieille maison blanche avec peu de livres.
Paul voit Dieu comme une force de peur et regarde à la télévision des dessins animés, Farmer Gray et Félix le chat. Il s’intéresse au base-ball et à ses stars, pense que 10 ans "c’est de loin le meilleur âge qu’on puisse avoir". En 1953, l’adaptation cinématographique de La guerre des mondes le marque durablement, comme cela sera le cas plus tard avec celle de L’homme qui rétrécit. Quant à la lecture, il signale son immersion dans Stevenson quand sa grand-mère lui offre ses œuvres en plusieurs volumes pour ses 8 ans.
Paul Auster parle avec finesse d’une "famille étrange". De ses "fugues mentales", ses "stupeurs". De l’ennui comme source de contemplation et de rêverie. Du moment où il a compris qu’il était "un juif". De Karen, partenaire de danse au bal du vendredi soir, qui appartenait elle aussi à "la brigade de la voie rapide". Pendant la rédaction de son livre, l’écrivain raconte également qu’il a reçu un coup de fil de sa première femme, son ex-épouse depuis trente-quatre ans, l’écrivaine et traductrice Lydia Davis. Celle-ci lui annonçait avoir retrouvé la centaine de lettres qu’il lui avait envoyées.
Les parcourir le propulse hors de l’enfance, le mène entre 1966 et 1969, quand il était un jeune homme aux cheveux foncés étudiant en première année à Columbia. Il a l’impression de lire un inconnu tellement cette personne est à présent loin de lui, tellement elle lui semble "étrangère et si peu formée"… Passionnant et instructif, Excursions dans la zone intérieure permet de suivre les premiers pas d’Auster dans l’écriture lorsqu’il allait se terrer dans une auberge du Maine dont il était le seul client ou qu’il séjournait à Paris, fauché et libre, à la croisée des chemins.
Al. F.