Deuxième livre d'Altaf Tyrewala à nous parvenir en France, et qui a pris son temps (il a été publié en Inde en 2012), ce Ministère des sentiments blessés touchera sans doute d'abord les aficionados de la capitale économique du pays, Bombay, devenue aujourd'hui Mumbai, son nom « réindianisé » depuis les années 2000 et le retour au pouvoir d'un certain fondamentalisme hindou, désireux de gommer toute trace de la présence coloniale britannique. Les Bombayens s'en moquent bien.
Bien qu'habitant aux Etats-Unis (New York, puis Dallas), Tyrewala ne cesse de revenir, dans son écriture, à sa ville natale, y compris de manière surprenante : ici, une « chronique poétique », qui coule comme un torrent impétueux provoqué par la mousson, et charrie avec lui une masse de boue, d'immondices, de personnages (de corps), dressant ainsi un état des lieux à la fois terrible, féroce et drolatique. Ville de tous les extrêmes, Bombay/Mumbai ne peut que susciter des réactions passionnelles, excessives. On l'adore ou on la déteste.
Alors, s'adressant à un « tu » resté vivre sur place, et dont on ignore tout, Tyrewala se lance dans un grand jeu de massacre, qui n'épargne pas grand-chose, ni les dieux, ni les partis politiques renvoyés dos à dos, ni même le socle profond de l'Inde, menacé par la globalisation. Quant aux êtres humains - Ganesh, le marchand de chai dans la rue, 5 roupies le demi-gobelet, qui perd son job et se suicide; Bhanu, la dalit qui effectue les plus basses besognes, aidée de ses enfants Anil et Jaya; Paresh-Bhai, l'entremetteur véreux qui « aide » les gens à se loger dans des banlieues indescriptibles, royaumes de la « noirchitecture »; ou encore Jaya, la domestique insolente et connectée -, ce sont des silhouettes, des types d'Indiens d'aujourd'hui, qui font face de leur mieux.
Le texte est truffé d'allusions, de jeux de mots, ce qui justifie amplement l'index de la fin. C'est ainsi qu'on y apprend que, bien que république laïque, l'Inde dispose bien d'un Ministère des sentiments blessés, chargé de lutter contre toutes les formes de blasphèmes qui heurtent les convictions religieuses des uns et des autres. Le pays n'en est pas à un paradoxe près.
Le ministère des sentiments blessés - Traduit de l’anglais (Inde) par Bee Formentelli
Actes Sud
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 13,50 euros ; 80 p.
ISBN: 9782330114213