La new romance porte une bonne partie de la croissance littéraire française avec une récente explosion. Au cours des 12 derniers mois, un livre sur trois acheté grâce au pass Culture appartenait à ce genre, selon la SAS pass Culture. La romance représente aussi 1,8 % des livres vendus en 2023, soit 6 millions d’exemplaires et 75 millions d'euros de chiffre d'affaires, selon une étude GFK Market Intelligence. En livres audio, elle capte 20% des écoutes sur Nextory, l’un des principaux services européens de streaming. Un filon désiré et exploité dans le milieu de l’édition.
Autre preuve de sa récente popularité, la romancière américaine Colleen Hoover, symbole de la new romance, apparaît dans chaque top 10 des ventes 2023 des différents marchés mondiaux selon GfK. Elle est d’ailleurs publiée chez Hugo Publishing, racheté par le groupe Glénat en 2021, au sein de sa fameuse collection « New Romance », qui a vendu son titre phare Jamais plus, à plus de 840 000 exemplaires en France, tous formats confondus.
Un genre marketé
Hugo Publishing domine ce prolifique marché en France. En 2014, l'éditeur a décidé de déposer la marque « New Romance » sur sa collection, s'en réservant ainsi l'usage exclusif alors qu’il représente un sous-genre entier de la romance. « Nous avons obtenu une légitimité avec cette marque déposée en 2014. Nous voulions publier avec les codes de la new romance, proposer un gage de qualité et de rigueur », présente Arthur de Saint-Vincent, président d’Hugo Publishing.
Une collection bien protégée qui vend tout aussi bien. La maison d’édition enregistre 60 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2023-2024 avec une cinquantaine de grands formats et une centaine de poches publiés.
S'il est d'origine anglophone, le phénomène s’est fait dépasser pour la première fois chez Hugo Publishing par la « New romance » française, avec en tête d’affiche Morgane Moncomble dans le top 10 des auteurs les plus vendus en 2023. En sortie de Covid, aucune librairie ou grande surface n’avait encore de rayon new romance. Aujourd’hui, c’est l'inverse : rares sont celles qui n’en possèdent pas.
Même si le genre de la new romance est entré dans le langage courant de la filière, Arthur de Saint-Vincent reste attaché à son label : « Pour nous, c’est toujours une marque, un critère et un fer de lance. Dans le domaine de l’édition, ça me gêne que d’autres l’utilisent. J’ai déjà envoyé des lettres recommandées à d’autres maisons d’édition. »
Varier l'expérience du lecteur
Hugo Publishing cible un lectorat précis : les femmes de 16 à 40 ans. L’aspect communautaire est très important et fait partie intégrante de l’écosystème de la new romance. C'est l’un des critères de sélection des éditeurs pour signer un auteur. Hugo Publishing a ainsi lancé sa plateforme d’écriture Fyctia, permettant d’identifier le marché et repérer les autrices. Le public s'informe par Tik Tok, premier convertisseur à la lecture, et utilise massivement le pass Culture.
La collection « New Romance » se développe aussi sur d’autres terrains. « Le métier d’éditeur ne doit pas s’arrêter à la dernière page du livre. L’expérience littéraire doit aller au-delà. Nous varions l’offre et les formats avec une expérience physique grâce au festival de la New Romance, débuté en 2016, et le New Romance magazine lancée cet été ».
Comment classer la new romance ?
Avec cette collection au nom bien gardé, comment les autres éditeurs font-ils pour classer les titres d’un genre littéraire dont l’intitulé est possédé par Hugo Publishing ?
Les analyses de ventes GfK recensent plusieurs milliers de titres de new romance, lesquels enregistrent une croissance constante au fil des années. La catégorie est représentée dans les rapports GfK sous la forme d’un sous-genre qui comprend les œuvres de new romance (dont ceux de la collection d’Hugo Publishing), en compagnie d’autres nouveaux courants comme la romantasy, la dark romance, etc.
La new romance se définit comme une intrigue littéraire centrée sur la relation. Le récit est destiné à un jeune public avec tout de même une ou deux scènes explicites. Le vocabulaire employé et la narration sont davantage sexualisés que les romans sentimentaux.
« Pour l’instant, nous gardons le même nom car cela permet une plus simple compréhension pour la filière », explique Fabien Rondeau, responsable compte clé livre francophone chez GfK. La différence entre le genre et la collection d’Hugo Publishing est connue du secteur, et GfK a besoin d’utiliser des terminologies comprises par tous. Au contraire du grand public, qui ne fera pas forcément la distinction en arrivant au rayon new romance en librairie, mais pourra observer la forte présence d’Hugo Publishing sur les étagères et les présentoirs.
« Le terme de "new romance" passe de plus en plus dans le langage commun comme d’autres marques telles que le Webtoon, complète Jessy Haouzi, market data consultant spécialiste chez GfK. Le marché de la romance est en pleine expansion avec une multitude de nouveaux sous-genres qui apparaissent. Il est important pour nous de bien analyser le marché et son évolution pour segmenter et optimiser le classement dans les différentes catégories. Aussi, pour faciliter la compréhension par tous, nous utilisons le terme de "New Romance" comme une partie de la profession, en France comme dans les autres pays. Cela correspond effectivement à une collection de Hugo Publishing et ces derniers n’ont émis aucune objection à cette utilisation »
GfK reste donc à l’écoute du marché : si l’ossature de sa nomenclature est stable, les sous-segments ont régulièrement évolué et peuvent encore le faire pour tenir compte des nouveaux genres littéraires, tout en garantissant la continuité et comparabilité des analyses. « La romance est un milieu en pleine mutation, je pense qu’avec le temps, le terme "New" va disparaitre dans la nomenclature GfK car la romance est destinée à évoluer aussi. De son côté Hugo Publishing gardera probablement sa collection "New Romance". Pour l’instant, cela ne pose pas de problème », considère Fabien Rondeau.
Un dépôt de marque qui n'a pas eu d'effet paralysant
Il existe des acteurs bien ancrés dans ce genre comme HarperCollins, mais aussi de nouveaux labels liés à de grands groupes. C’est le cas de Chatterley au sein du groupe Editis. Lancée en octobre 2023, cette maison est dédiée à tous les genres de la romance, dont la new romance, intitulée « romance contemporaine » dans son catalogue. « On ne le labellise pas "New Romance" mais c’est notre communication autour qui va l’indiquer, précise Julie Cartier, directrice générale de Chatterley. C’est de temps en temps un peu problématique de ne pas pouvoir utiliser le terme mais ça n’empêche pas les lectrices de trouver nos livres. Elles sont plus attirées par les noms des auteurs. »
Si le dépôt de marque pas Hugo Publishing n'a donc pas d'effet paralysant, Julie Cartier s’interroge en revanche sur une répétition de cette pratique de nos jours. « Aujourd’hui, je ne sais pas si l’INPI l’autoriserait. Ce n’était pas encore employé dans le langage commun à l'époque du dépôt de marque. On peut faire la même analyse pour la maison Livre de poche, ça ne passerait plus maintenant. »
Même son de cloche chez BMR, au sein du groupe Hachette Livre, autrefois appelé Black Moon Romance lors de sa création en 2014. « La marque "New Romance" ne nous pose pas véritablement de problèmes, assure Marie Legrand, directrice chez BMR. C’est un mot-valise qui regroupe la romance, ces deux mots se galvaudent. Par contre, on va faire attention à ce que les termes génériques "romantasy" et "dark romance" ne soient pas déposés. »