« Le phénomène est aussi vieux que notre humanité : on a toujours tué des enfants, des bébés, des nouveau-nés. Pourquoi ? » Difficile d'affronter ce mystère glaçant qui tend à briser l'image des adultes protecteurs. Pourtant, même un parent peut s'attaquer à sa progéniture. « Dans notre Occident civilisé et pacifié, le principal danger pour les petits se trouve chez eux. La violence domestique tue 3 500 enfants par an en Europe. » Un chiffre effarant, qui témoigne de drames aux visages très différents. Notre culture refuse souvent de regarder ce phénomène en face. Elle préfère hisser les mères sur un piédestal, qu'elles ont de plus en plus de mal à escalader. Depuis plusieurs années, des voix s'élèvent pour dénoncer « la pression sociale qui s'exerce sur elles ». Katixa Agirre fait désormais partie de ce club qui ose briser les tabous. Née au Pays basque espagnol, elle est l'auteure de nouvelles et de livres jeunesse. Son second roman pour grands, Pas les mères, secoue les âmes avec frénésie. Il plonge dans la vie d'une romancière très prisée. Alors qu'elle vient d'avoir un bébé, elle semble déstabilisée par un fait divers qui remue l'Espagne. Une mère a priori sans problème a noyé ses jumeaux sans exprimer un mot. C'est la baby-sitter qui découvre ces « deux petits paquets nus. Le fait. Homicide, infanticide, double assassinat, noyade sont de toute évidence insupportables. » D'autant que la narratrice a connu la coupable lors de leurs années universitaires. Cette dernière s'appelait Jade, avant de devenir Alice. Un tremblement de terre la secoue. Elle, qui ne parvient plus à écrire, se sent brusquement investie d'une mission : faire la lumière sur cet acte obscur. L'idée étant d'enquêter sur les infanticides présents dans l'Histoire, les contes ou les mythes (comme Médée). Une matière inquiétante mais fascinante, qui prend tout son sens dans cette tragédie contemporaine.

« Les procès ne sont rien d'autre qu'une bataille de récits. » Ici, l'avocate - une militante féministe - plaide la dépression post-partum, mais la meurtrière présumée et son mari si aimant apportent leur touche nuancée. Doris Lessing, Sylvia Plath ou la comédienne Cameron Diaz ont poussé des cris d'alerte quant aux difficultés de la maternité. À travers leurs paroles croustillantes ou troublantes, Katixa Agirre va loin dans sa réflexion. Elle aussi a expérimenté les affres de ce rôle, qui arrange bien ces messieurs. « On n'évoque presque jamais les heures d'ennui qui constituent la vie d'une mère. Isolée, confinée et entièrement dévouée vingt-quatre heures sur vingt-quatre à son travail, dont la considération sociale est équivalente au nettoyage de sanitaires », elle s'étiole. Ce roman saisissant et bluffant va jusqu'à poser des questions inaudibles : « Les couples peuvent-ils vraiment survivre à l'arrivée d'un enfant ? » Pas toujours, mais cela n'aboutit heureusement pas forcément au pire. L'infanticide nous rappelle que « le mal existe. Nous préférons les explications rationnelles. Cela nous rassure », alors qu'ici on sort de notre confort pour se cogner à une vérité libératrice.